Environnement Lançonnais

Pesticides : « N’avons nous pas atteint un point de non-retour ? »

samedi 29 juin 2013 par Alain KALT (retranscription)

Le 13 juin 2013 par Marine Jobert

Gérard Bapt, député PS de Haute Garonne.

L’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a rendu ce 13 juin une méta-analyse de la littérature scientifique internationale sur les effets des pesticides sur la santé, tant dans la population agricole que générale [JDLE]. A cette occasion, Gérard Bapt, député socialiste de la Haute-Garonne, membre de la commission des affaires sociales, président de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le Mediator et la pharmacovigilance et ancien président du groupe d’étude Santé environnementale de l’Assemblée nationale a répondu aux questions du Journal de l’environnement.

JDLE - Que pensez-vous de ce travail ?

Gérard Bapt - L’intérêt de cette méta-analyse (dont une synthèse est disponible ici) est de donner corps et substance aux connaissances, mais aussi aux insuffisances de connaissances. Cette analyse exhaustive des expositions fait la démonstration que l’essentiel de la population générale est exposée. C’est aussi ce que montre la cohorte bretonne Pelagie[1], qui a mis en évidence la présence de 44 molécules[2] de pesticides jusqu’à 84% des échantillons prélevés. Et dans 5% des cas, des pesticides interdits depuis plusieurs années, comme l’atrazine (molécule mère et métabolites) interdite depuis 2002, ont été trouvés.

JDLE - Comment qualifieriez-vous cette contamination ?

Gérard Bapt - Il était déjà très difficile d’observer les effets sanitaires des pesticides. D’abord parce que plusieurs produits peuvent agir en « cocktail » ; ensuite parce que les effets sont retardés dans le temps. En outre, dans la plupart des cas, la traçabilité des substances n’a pas été assurée et l’histoire de l’exposition des individus -y compris via les registres des suivis professionnels- est peu ou mal assurée. Aujourd’hui vient se rajouter une difficulté supplémentaire de taille pour repérer les dégâts sanitaires : si la population générale est exposée, comment mener les études comparatives entre cohortes exposées et cohortes non exposées ? Désormais, seule la biosurveillance des populations professionnellement exposées peut permettre de suivre les évolutions, en incluant la sphère familiale, les personnes qui vivent près des zones exposées aux épandages et les travailleurs saisonniers.

Au plan historique, on se demande si on n’a pas atteint un point de non-retour, car il y a des pesticides dont la suppression immédiate n’empêcherait pas les effets de faible dose et sur le long terme. Ces pesticides très persistants, comme les organochlorés, sont accumulés dans les graisses d’animaux que nous consommons : nous continuons à y être exposés des années après leur retrait du marché. Est-ce qu’il n’est pas trop tard pour empêcher ces effets que l’on distingue mieux maintenant ?

JDLE - L‘Inserm recommande de réaliser quantité d’études, tant professionnelles que dans la sphère familiale ou à proximité des zones les plus exposées aux polluants, et de quantifier le « bruit de fond » chimique auquel est exposée la population générale. Mais n’a-t-on pas déjà assez d’indices « graves et concordants » de ces pollutions et de leurs effets délétères sur la santé ?

Gérard Bapt - Non. Soit les études ne sont pas concordantes, soit elles sont difficilement étudiables par analogie, par manque de concertation ou d’insuffisances lors de leur conception. C’est donc une bonne chose de recommander de mener des études supplémentaires ; mais attention ! il s’agit d’être rigoureux, d’autant que ce sont des études coûteuses. L’un des objectifs qu’il faut poursuivre, c’est de comprendre les mécanismes d’action et les effets de ces produits en cas de « cocktail », puisque certaines substances sont plus actives en cas de synergie. Il faut également considérer les familles de produits, pas les produits seuls. Car il ne sert à rien de supprimer un produit si son cousin est fabriqué le mois suivant par les firmes !

JDLE – Alors nous nous reverrons lors de votre prochain mandat pour commenter les résultats des études que l’Inserm vient de préconiser et qui risquent de mettre en lumière, comme aujourd’hui, les effets délétères des pesticides ?...

Gérard Bapt - L’un des arguments des opposants à une réglementation plus stricte des pesticides, c’est que l’espérance de vie continue à augmenter. Mais elle augmente pour les gens de ma génération. Vous, qui êtes dans votre trentaine, vous êtes déjà en danger ! Et qu’est-ce qui va se passer pour les générations suivantes ? L’espérance de vie en bonne santé s’est stabilisée, elle n’augmente plus et l’espérance de vie aux Etats-Unis a même commencé à fléchir. Je suis convaincu que c’est de la poursuite d’études comme celles de l’Inserm que dépendent des décisions politiques, qu’il faudrait très rapides et majeures. Car pour prendre des décisions politiques, il faut que les études soient documentées. En face, les puissances économiques et de lobbying sont énormes. Ce n’est donc pas l’application du principe de précaution fondé sur des doutes qui peut amener à des décisions. Pour trois néonicotinoïdes seulement, on a obtenu de haute lutte des mesures transitoires sur deux ans totalement insuffisantes, puisque limitées à certaines productions [JDLE]. La réalité politique, elle est là…

Mais il y a d’ores et déjà des mesures réglementaires et législatives qui peuvent être prises en France et tout de suite. Comme réformer la façon dont la Direction générale de l’alimentation (DGAL) valide des conditions de mise sur le marché de certains pesticides, qui ont été critiquées par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) [JDLE]. L’échec du plan Ecophyto [JDLE], qui est flagrant, doit être mis en face des dégâts sanitaires qui sont de mieux en mieux caractérisés. Il faut effondrer l’utilisation des pesticides et engager la production agricole sur d’autres bases, comme l’agriculture biologique ou la lutte intégrée pour lutter contre les ravageurs. Sur cette question des pesticides, il faut secouer le cocotier, c’est-à-dire faire diffuser dans le public les conclusions de l’Inserm, les faire reconnaître par les politiques, et faire monter la pression publique. C’est ce qu’on a fait avec le BPA dans les biberons.

JDLE - Cette « gourmandise » pour la recherche, les rapports, les populations spécifiques à étudier ou les études de terrain, est-elle en phase avec l’urgence que suggèrent les résultats des études déjà existantes ?

Gérard Bapt - L’Inserm semble considérer que ce n’est pas son rôle de faire des propositions. Ses recommandations ne portent que sur l’amélioration de la surveillance et de la recherche, mais ce n’est pas du tout opérationnel en temps que décision politique. Cela veut donc dire que c’est maintenant aux agences de sécurité sanitaire de faire des propositions aux autorités politiques compétentes pour traduire les exigences qu’impliquent les constats scientifiques déjà établis. C’est l’Anses qui doit agir, d’autant plus que l’agence du médicament lui a transféré la compétence pour les biocides. Elle doit émettre des recommandations de réglementation ou de législation vers le gouvernement, pour améliorer les procédures de contrôle, et continuer à agir au plan européen pour que la notion de perturbateurs endocriniens apparaisse et que la notion de famille de substances soit prise en compte.

JDLE - Est-ce que vous croyez à un « usage contrôlé des pesticides » comme il y a eu un « usage contrôlé de l’amiante » ?

Gérard Bapt - J’y ai pensé, compte tenu du décalage qui existe entre la constatation des faits et la décision politique, -laquelle est difficile à prendre compte tenu du lobbying, des études scientifiques contradictoires, biaisées ou commandées. On retrouve les mêmes éléments. Mais avec l’amiante, c’était beaucoup plus facile : il y avait une seule substance et un seul effet…


[1] Cette cohorte a pour objectif de mesurer, dans une région très agricole, le niveau d’imprégnation aux pesticides des femmes enceintes et d’étudier leur impact sur le fœtus et son développement.

[2] Les 10 molécules les plus fréquentes sont des métabolites d’insecticides organophosphorés.

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