Environnement Lançonnais

La leucémie des moules a-t-elle débarqué en France ?

samedi 2 juillet 2016 par Alain KALT (retranscription)

Le 17 juin 2016 par Romain Loury

Menace sur la mytiliculture

Frappées depuis 2014 par de fortes vagues de mortalité, les moules bleues de l’Atlantique français seraient-elles à leur tour touchées par la néoplasie hémocytaire, comme les bivalves nord-américains ? Signe très évocateur, une étude de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) révèle la constance de fortes anomalies génomiques chez les victimes. Un coup dur pour la profession mytilicole.

C’est en 2014 que le phénomène est survenu : sans raison déterminée, les moules de la façade atlantique française, en particulier celles de Charente-Maritime et de Vendée, meurent en masse. Et 2016 s’annonce déjà comme une très mauvaise année : l’épidémie s’étend désormais à la Bretagne, jusqu’au nord du Finistère, mais également vers le sud, avec une moyenne de mortalité autour de 70%, explique au JDLE le président du comité régional de la conchyliculture Pays de la Loire, Jacques Sourbier.

Les hypothèses vont bon train sur les raisons du phénomène. Agents pathogènes, contamination environnementale (notamment par des pesticides), réchauffement climatique, acidification, baisse des ressources alimentaires… « Le problème n’est pas simple, il est probablement multifactoriel », juge auprès du JDLE le président du Comité national de la conchyliculture, Gérald Viaud.

Les chromosomes s’affolent

Or une étude[i] publiée par Abdellah Benabdelmouna et Christophe Ledu, de la station de la Tremblade (Charente-Maritime, Ifremer), vient jeter une lumière nouvelle : les lots de moules touchés par le phénomène s’avèrent atteintes de sévères anomalies génomiques, avec un nombre anormal de chromosomes. Car comme la plupart des êtres vivants dotés d’un noyau cellulaire, la moule dispose d’une paire de chacun de ses chromosomes (« 2n » chromosomes), faisant d’elle un organisme « diploïde ».

Les chercheurs ont analysé des lots de 300 moules provenant de sept sites différents de Charente-Maritime et de Vendée : le taux de mortalité est similaire dans les bassins expérimentaux à ce qu’il est dans l’élevage. Par la technique de cytométrie en flux, qui permet de mesurer la quantité de matériel génétique des cellules, les chercheurs montrent que les quatre lots les plus touchés (trois de Vendée et un charentais, mortalité allant de 55% à 90%) contiennent entre 90% et 98% de moules atteintes d’anomalies génomiques. A savoir des moules dont au moins 10% des cellules présentent de l’hypodiploïdie (moins de 2n) ou de la tétraploïdie (4n), avec tous les niveaux de ploïdie intermédiaire.

A l’inverse, les deux lots les moins atteints, tous deux de Charente-Maritime, présentent beaucoup moins d’anomalies. Et ce aussi bien en termes de nombre de cellules anormales par moule qu’en termes de proportion de moules ayant plus de 10% de cellules atteintes. Ainsi les moules de l’estuaire du Lay, avec une mortalité de 5%, ne présentent même aucune cellule dépassant le seuil de 10%.

Autre élément : les moules ayant résisté à la vague de mortalité s’avèrent, quelle que soit leur origine, ne pas présenter ce problème. Les chercheurs ont par ailleurs analysé l’hémolymphe, à savoir le liquide circulatoire, de ces moules : pour celles présentant des anomalies génomiques, on retrouve de nombreuses cellules évoquant une maladie bien connue en Amérique du Nord, la néoplasie hémocytaire (ou disséminée) des moules.

L’Ifremer serait-il aussi taiseux que ses moules ? Côté info, ça filtre sec. Par peur de froisser la profession ? Premier acte : contactés lundi 13 juin par le JDLE, les chercheurs transmettent leur étude et sont d’accord pour une interview. Seule réserve : le feu vert du service de communication, comme cela est, parait-il, la coutume à l’Ifremer. Premier couac, la « com » répond, après un temps de réflexion, que l’entretien aura lieu avec d’autres experts, écartant ainsi les auteurs de l’étude. Raison invoquée : sujet « délicat ». Mercredi 15 juin, la « com » demande au JDLE, en préalable à l’interview, de lui envoyer quelques exemples de questions. Après l’envoi, deuxième couac : finalement, il ne sera question que de réponses écrites, mais détaillées, « au plus tard vendredi soir ». Coup de fil du JDLE vendredi 17 juin au matin : hourra, les réponses sont en cours de rédaction ! En début d’après-midi, douche froide dans la boîte mail : pas de réponse aux questions, un simple communiqué de l’Ifremer. Re-coup de fil du JDLE : « et mes questions ? ». Et bien, l’Ifremer a changé d’avis en deux heures : pas d’échange avec la presse. Bilan des courses : un communiqué bateau, pas d’interview, pas de réponse écrite. Et un bel enfumage de journaliste.

Une maladie transmissible ?

Observée chez plusieurs bivalves (moules, huîtres, palourdes), cette maladie, sans danger pour la consommation humaine, fait, depuis les années 1970, des ravages aux Etats-Unis et au Canada. Au vu de ces nouveaux travaux, tout porte à croire qu’elle s’est désormais implantée sur les côtes atlantiques de la France.

Si ses causes demeurent peu connues, une étude américaine publiée en avril 2015 a révélé un étrange mécanisme, celui d’une leucémie transmissible entre bivalves par la dissémination de cellules cancéreuses d’un individu à l’autre. Originalité supplémentaire, ces cellules sont quasi-identiques, et proviendraient d’un seul individu originel, à partir duquel elles se seraient étendues à d’autres bivalves, de la même manière qu’une infection virale.

A ne pas confondre avec les cancers d’origine virale -comme le cancer du col de l’utérus et le papillomavirus-, ces cancers transmissibles par un agent cellulaire n’ont été décrits que deux fois auparavant : la DFTD (Devil Facial Tumour Disease) qui menace le diable de Tasmanie d’extinction, et le sarcome de Sticker chez le chien. Si la première maladie se contracte par blessure lors de combats, la seconde se transmet par voie sexuelle.

Une hypothèse à confirmer

Pour les deux chercheurs français, « le même phénomène pourrait probablement être impliqué dans les actuelles épidémies de mortalité survenant chez les moules bleues françaises. D’autres études moléculaires, avec analyse de marqueurs génétiques, sont nécessaires pour confirmer cette hypothèse ».

Au-delà de cette piste, la première évoquée par les chercheurs, ils en avancent d’autres, dont une hybridation entre diverses espèces de moules, voire une pollution d’origine naturelle ou humaine. Plusieurs études ont en effet montré qu’une telle pollution des eaux pouvait favoriser les anomalies génomiques chez les moules, voire accélérer la néoplasie hémocytaire.

Un coup dur pour la mytiliculture

La situation révélée par ces travaux s’avère très inquiétante : selon les chercheurs, « ces nouvelles épidémies de mortalité anormale, qui affectent les moules bleues de France depuis 2014, soulignent une fragilité inattendue des stocks, et posent de sérieuses questions quant aux origines de ce phénomène, mais aussi quant aux impacts négatifs sur la mytiliculture et sur les écosystèmes qu’ils touchent ».

Pour la filière mytilicole, il s’agit en effet d’un coup très dur. Le sujet devait d’ailleurs être abordé ce vendredi 17 juin, lors d’une rencontre entre les producteurs et le secrétaire d’Etat chargé des transports, de la pêche et de la mer, Alain Vidalies.

Contactés mardi 14 juin par le JDLE, ni le président du CNC, ni celui du CRC Pays de la Loire n’étaient au courant de ces travaux. Avant même la parution de ces travaux, un projet de recherche, qui devrait être mis en place en 2017, était en cours de préparation pour mieux comprendre les racines du phénomène, explique Gérald Viaud.

L’Ifremer se montre prudent

Du côté de l’Ifremer, on se montre très prudent, voire un peu langue-de-bois : « il ne s’agit en aucune manière d’une explication du phénomène, mais d’un simple constat expérimental en laboratoire. Les phénomènes de mortalité sont complexes et répondent donc à un grand nombre de facteurs qui se combinent », explique l’institut dans un communiqué diffusé vendredi.

« Le constat expérimental contribue à mieux comprendre le phénomène, mais ne permet pas de proposer pour autant un mécanisme explicatif. Il ne s’agit donc que d’une contribution partielle au sujet qui devra être analysée plus avant. L’Ifremer tient à attirer l’attention sur la prudence avec lequel il doit être pris afin d’en tirer des conclusions sur les phénomènes de mortalité », poursuit l’institut, qui se dit « pleinement mobilisé » sur le sujet.

[i] L’étude sera publiée en juillet dans le Journal of Invertebrate Pathology, mais est déjà disponible en ligne.

Voir en ligne : Source de l’article...

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