Environnement Lançonnais

Des champignons qui se nourrissent de pétrole

mardi 3 janvier 2012 par Alain KALT (retranscription)

Prenez une boite de Pétri contenant du pétrole brut ; à peine entrouverte, elle laisse échapper la forte odeur caractéristique du combustible fossile formé d’un grand nombre de composés toxiques.

Saupoudrez de spores de champignons et laissez reposer deux semaines dans un incubateur. Surprise, des filaments ont colonisé la matière et l’odeur a complètement disparu. « Les champignons se sont nourris de pétrole ! » lance, encore émerveillé, Mohamed Hijri, professeur de sciences biologiques et chercheur à l’Institut de recherche en biologie végétale (IRBV) de l’Université de Montréal. Avec B. Franz Lang, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en génomique comparative et évolutive et professeur au Département de biochimie, il codirige un projet mettant à contribution la nature comme première partenaire dans le processus de décontamination. En combinant la capacité de croissance exceptionnelle de certaines plantes avec des champignons microscopiques et des bactéries qui stimulent leur croissance, les deux chercheurs pensent être en mesure de créer de véritables usines de décontamination biologique in situ, capables de s’attaquer avec succès aux lieux les plus contaminés de la planète...

La recette est simple. Au printemps, vous plantez à 25 centimètres d’intervalle des boutures de saules dont les racines plongeront dans le sol pour éponger les contaminants qui seront dégradés dans la matière ligneuse, de concert avec les microbes. Au terme de la saison, on brule les tiges et les feuilles, et l’on n’a plus qu’une poignée de cendres emprisonnant les métaux lourds accumulés dans les cellules végétales. Un sol hautement contaminé sera assaini après quelques cycles. « De plus, c’est beau », fait remarquer Mohamed Hijri en montrant sur son écran la végétation dense qui a verdi en trois semaines le sol lunaire d’une ancienne raffinerie.

Grâce à la collaboration d’une compagnie pétrolière de la région montréalaise, les chercheurs ont eu accès à un « paradis » microbiologique : un endroit où presque rien ne pousse et où nul ne s’aventure sans une combinaison digne d’un explorateur de l’espace. Là, éprouvette à la main, Mohamed Hijri a recueilli des microorganismes spécialisés dans la digestion d’hydrocarbures. « Si on laisse aller la nature, même les sites très contaminés retrouvent un état d’équilibre grâce à la colonisation de bactéries et de champignons. En isolant les espèces les plus efficaces dans cette lutte biologique, on gagne beaucoup de temps. »

Sélection naturelle et artificielle

Voilà la partie visible de ce projet de recherche qui pourrait conduire à une percée en matière de décontamination des sols. Intitulé « Amélioration de la biorestauration des sols pollués au moyen de la génomique environnementale », il exige un patient travail d’échantillonnage et d’expérimentation sur le terrain, ainsi que le séquençage de l’ADN des espèces retenues. Il réunit au total 16 chercheurs de l’UdeM et de l’Université McGill, dont plusieurs travaillent à l’IRBV. L’équipe compte par ailleurs quatre chercheurs, juristes et politologues spécialistes des aspects éthiques, environnementaux, économiques, légaux et sociaux de la génomique.

Le principe s’appuie sur un processus déjà connu dans le secteur, appelé « phytoremédiation », consistant à utiliser la matière végétale comme vecteur de décontamination. « Mais dans un sol contaminé, ce n’est pas la plante qui fait le plus gros du travail, soutient le professeur Lang, ce sont les microorganismes, c’est-à-dire les champignons et les bactéries qui accompagnent le système racinaire. Or, il existe des milliers d’espèces de microorganismes. Notre tâche consistera à désigner les meilleures combinaisons plante-champignon-bactérie. »

C’est le botaniste Michel Labrecque qui s’occupe du volet végétal. Déjà, le saule apparait comme le meilleur porteur de ballon avec sa croissance rapide et sa feuillaison précoce ; qui plus est, la tige repousse plus généreusement lorsqu’elle est coupée. Il est donc inutile de planter de nouveaux arbres chaque année. Encore faut-il déterminer la meilleure espèce de saule.

Un des meilleurs du pays

En accordant un budget de 7,6 millions de dollars sur trois ans, Génome Canada, Génome Québec et d’autres partenaires s’attendent à des retombées concrètes sur le marché de la décontamination des sols – estimé à 30 milliards au Canada seulement. « Le fait qu’il est arrivé en deuxième place parmi les meilleurs projets du pays nous a quand même un peu surpris », concède le professeur Lang, qui jouit d’une réputation mondiale en génomique et bio-informatique et qui a publié dans les plus grandes revues.

Dans les nouveaux laboratoires lumineux du Centre sur la biodiversité, où Mohamed Hijri vient tout juste d’emménager avec son équipe, on est totalement absorbé par ce projet. Une vingtaine de personnes ont été embauchées au cours des derniers mois ou le seront sous peu pour assurer l’évolution rapide des travaux.

La participation de Suha Jabaji et Charles Greer, de l’Université McGill, est un atout important dans la réalisation du projet. « Il s’agit d’une vraie collaboration interdisciplinaire et interinstitutionnelle. C’est le produit d’un effort d’équipe », mentionne B. Franz Lang.

« Ici, on recevra par camions la matière végétale coupée sur nos terres expérimentales à la fin de la saison afin de l’analyser en détail », indique-t-il à l’intérieur d’une pièce munie de plusieurs appareils de mesure.

Au deuxième étage du Centre, les agents de recherche s’emploieront à séquencer les échantillons. Des robots et des appareils de haute précision valant au total plusieurs centaines de milliers de dollars sont encore dans leur emballage. Mais pas pour longtemps, car le projet doit donner des résultats concrets à court et moyen termes – c’est une exigence des bailleurs de fonds.

Pour B. Franz Lang, ce projet marque un point culminant dans sa carrière. « Je suis étroitement associé à la recherche fondamentale. Et ce que nous faisons ici est un aboutissement des 25 dernières années de travail. Cette application concrète de la science n’aurait jamais pu être possible sans mes travaux précédents en recherche fondamentale, et je tiens à le signaler aux politiciens qui décident de notre financement », dit-il.

Dans son laboratoire, cinq personnes ont déjà trouvé un emploi dans le cadre de ce projet, et c’est loin d’être fini. En plus de mettre la main à la pâte – il ne refusera pas d’aller sur le terrain et de manipuler des échantillons –, le professeur Lang voit au processus de transfert des connaissances avec l’aide d’Univalor et du Bureau Recherche-Développement-Valorisation. « Un travail que peut difficilement faire un chercheur en début de carrière. »

Déjà, des entreprises sont à la porte de son laboratoire et des ententes de partenariat sont en voie d’être signées. Si le projet donne des résultats commerciaux, B. Franz Lang veut qu’une bonne partie des retombées revienne à la recherche à l’UdeM et à l’Université McGill, dans les domaines connexes à ce projet. « Ce sera une façon d’assurer la relève à longue échéance », commente le chercheur.

Mathieu-Robert Sauvé

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