Environnement Lançonnais

A Tricastin, EDF ne contrôle plus le tritium radioactif

vendredi 13 décembre 2013 par Alain KALT (retranscription)

Barnabé Binctin (Reporterre)

mercredi 11 décembre 2013

La centrale nucléaire du Tricastin accumule les incidents et voit sa cuve fissurée. C’est tout ? Non. Depuis des mois, EDF se révèle incapable de stopper une fuite inexplicable de tritium radioactif.


Reportage, Pierrelatte (Drôme)

Depuis plusieurs mois, des rejets de tritium, un isotope radioactif de l’hydrogène, contaminent les eaux souterraines situées sous la centrale, sans que l’exploitant soit capable d’en identifier l’origine. L’Autorité de Sûreté nucléaire a pourtant sommé EDF de mettre fin à cette pollution… sans succès jusqu’alors.

Le 8 juillet 2013, EDF détecte une présence anormale de tritium dans les eaux souterraines de la centrale, par l’intermédiaire d’un piézomètre situé entre les réacteurs 2 et 3. La concentration dans l’eau en est normalement située autour de 10 Becquerel/litre (Bq/l). Ici, l’échantillon prélevé affiche des volumes supérieurs à 100 Bq/l.

Alertée, l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire) mène une inspection le 28 août qui révèle des niveaux de l’ordre de 600 à 700 Bq/l sous le radier du bâtiment du réacteur 3. Deux semaines plus tard, elle intime l’ordre à EDF de prendre « toutes les décisions nécessaires pour identifier dans les meilleurs délais les équipements à l’origine de la présence anormale de tritium ». La décision n°2013-DC-0371 commande également à EDF de transmettre « quotidiennement à l’ASN le bilan actualisé des mesures réalisées dans le cadre de la surveillance renforcée ».

Mais EDF n’est toujours pas parvenue à identifier l’origine des fuites. Du côté de l’IRNS (Institut de recherche sur la sûreté nucléaire), on analyse ainsi ce retard : « Il n’est pas toujours évident de trouver le lieu de contamination vers l’environnement, au niveau du sol. La première étude de cheminement prend du temps. Aujourd’hui on suppose qu’il s’agit d’une inétanchéité des joints entre bâtiments, mais il faut désormais trouver le ou les joints en question. Se posera ensuite le problème de les changer… », selon Thierry Charles, le directeur général adjoint de l’Institut.

Dans le document qu’EDF présentera vendredi 13 décembre à la CLIGEET (Commission Locale d’Informations sur les Grands Equipements Energétiques du Tricastin) et dont Reporterre a eu connaissance, il est mentionné que l’hypothèse retenue est celle d’une « infiltration probable du tritium au niveau d’un joint inter-bâtiments selon une cinétique très lente [menant à la] diffusion de ce tritium dans les eaux de l’enceinte géotechnique qui se situent à environ 2m de ce joint ».

La contamination des eaux continue, peut-être même « empire »

En attendant, les taux de tritium mesurés dans les eaux souterraines restent anormalement élevés. Plusieurs associations s’inquiètent de la situation : « Les derniers chiffres dont on a connaissance oscillent autour de 500 Bq/l. Mais nous devons faire confiance à EDF sur ces chiffres, car il est le seul à avoir accès aux piézomètres. Nous avons demandé plusieurs fois à faire nous-mêmes des analyses sur le site, mais on nous a toujours refusé l’accès », dit Roland Desbordes, le président de la CRIIRAD (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité), un laboratoire d’analyse spécialisé dans le dépistage des pollutions radioactives.

Contacté par Reporterre, EDF n’a pas souhaité s’exprimer sur les dernières valeurs mesurées sur Tricastin - ni d’ailleurs sur quoi que ce soit. Reporterre s’est pourtant procuré deux documents du CNPE (Centre nucléaire de production d’électricité) EDF de Tricastin qui ont été transmis à l’ASN. Ceux-ci révèlent des mesures plutôt situées autour de 600 Bq/l sous le radier du réacteur n°3.

Pour l’association Next-Up, la situation pourrait en réalité s’avérer plus grave : « On pense que depuis le temps, ça a empiré. Cela fait cinq mois qu’EDF est incapable d’apporter des réponses satisfaisantes et nous n’avons aucun moyen de vérifier leurs informations… Peut-être y a-t-il d’autres éléments radioactifs qui contaminent les eaux souterraines », interroge Serge Sargentini, le coordinateur de l’organisation.

Les autorités du nucléaire se veulent rassurantes : « Les valeurs mesurées sont faibles, il n’y a pas d’impact sanitaire ni environnemental », dit Thierry Charles.

Dans son Livre Blanc sur le tritium paru en 2010, l’ASN rappelle que ce radionucléide peut être d’origine naturelle – par l’action des rayonnements cosmiques sur l’atmosphère – avec un « inventaire permanent de 3,5 kg à l’échelle planétaire, avec une production naturelle mondiale d’environ 200 g par an ». Il est cependant rappelé qu’il est largement produit par les activités humaines depuis la seconde moitié du XXe siècle : « De grandes quantités de tritium ont été relâchées dans l’atmosphère durant la période des essais aériens d’armes nucléaires, entre 1946 et 1980 ».

Rencontré à Lyon, Olivier Veyret, adjoint au chef de division sûreté de l’ASN Lyon, évoque une norme de 10 000 Bq/l fixée par l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) comme seuil de potabilité de l’eau : « Vous voyez que nous sommes loin de ces échelles-là. Si ces fuites reflètent bien une anomalie, elles ne présentent aucun risque pour l’environnement ».

Roland Desbordes conteste cette référence : « Cela n’a rien d’une norme. C’est une simple recommandation qui n’est plus considérée par les scientifiques sérieux depuis bien longtemps. Sinon, expliquez-moi pourquoi le Canada recommande un seuil de 20 Bq/l…Au contraire, on se rend compte actuellement que l’on a largement sous-estimé sa toxicité, notamment concernant le tritium organiquement lié, c’est-à-dire celui qui passe dans les tissus et se fixe au métabolisme lorsque nous l’ingérons ».

La France et l’Union européenne ont fixé une référence de qualité de 100 Bq/l qui fonctionne comme un seuil de dépistage : si elle ne constitue pas en soi une limite sanitaire, elle est la mesure à partir de laquelle on enclenche des investigations supplémentaires pour caractériser la radioactivité de l’eau. 100 Bq/l représente donc un premier seuil d’alerte.

Maîtriser la pollution... en la diluant

Indépendamment de son impact sur la santé publique, l’enjeu des fuites de tritium réside aussi dans la contamination à plus large échelle, à travers les nappes phréatiques. Construite sous la centrale, une enceinte géotechnique permet d’emprisonner l’eau souterraine et d’éviter toute propagation vers la nappe phréatique. Matérialisée par une paroi verticale en béton de soixante centimètres d’épaisseur pour douze mètres de profondeur, cette enceinte n’est cependant pas fermée, et les opposants dénoncent son manque d’étanchéité.

EDF est aujourd’hui obligé de pomper les eaux de l’enceinte afin de les maintenir à un niveau inférieur à celui des eaux de la nappe phréatique externe.

Dans le document pour la réunion de vendredi 13, et que donc Reporterre s’est procuré, EDF annonce pomper « 150 m3/jour pour un volume d’eau dans l’enceinte d’environ 400 000 m3 ». D’autres chiffres font état, au 28 octobre, d’un volume de 850 m3. L’eau, une fois pompée, est stockée et analysée avant… d’être rejetée dans le canal du Rhône de Donzère Mondragon. L’exploitant affirme respecter les autorisations de rejets et effectuer ceci dans des proportions raisonnables.

Pour la CRIIRAD, il s’agit là d’un fonctionnement contraire au principe de respect de l’environnement : « On gère une pollution en récupérant la contamination, en la stockant et en la traitant… pas en la reversant dans un milieu naturel à côté qui serait considéré comme un exutoire. On ne fait pas disparaître la pollution en la dispersant et en la diluant ! », affirme le président du laboratoire indépendant.

Confronté au statu quo, ’association Next-Up a entrepris à l’automne plusieurs actions à l’encontre de l’ASN, qui « a pris une décision à l’égard d’EDF qu’elle est incapable de faire appliquer », selon Serge Sargentini. Après une sommation interpellative, l’association a ainsi déposé une requête de référé auprès du tribunal de grande instance de Valence. Elle a été déboutée en novembre. Si la démarche n’a pas abouti, elle a aidé à éviter l’enlisement et l’oubli.

L’incapacité d’EDF à contrôler les rejets de tritium et l’impact polluant de celui-ci poussent la Coordination antinucléaire du sud-est à demander la mise à l’arrêt des réacteurs de la centrale.

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