Bilharziose corse : des cas qui tombent mal
Le 21 juillet 2015 par Romain Loury
Faut-il de nouveau interdire la baignade dans la rivière du Cavu, en raison de la bilharziose ? Plusieurs cas seraient bien survenus au cours de l’été 2014, selon deux nouvelles études. Contrairement à ce que pensaient les autorités sanitaires, dont l’embarras est palpable.
La nouvelle est tombée en juin 2014 : au cours des étés 2011 à 2013, une douzaine de touristes étrangers avaient contracté une bilharziose après s’être baignés dans le Cavu, rivière de Corse-du-Sud. Or cette maladie parasitaire, la deuxième plus fréquente au monde après le paludisme, avait fait ses derniers cas européens dans les années 1960 au Portugal, et était depuis restreinte aux pays du Sud.
Afin d’éviter toute propagation de la maladie, la baignade avait été interdite sur 2 communes de Corse-du-Sud, Zonza et Conca, durant l’été 2014. Les autorités sanitaires avaient lancé une campagne d’incitation au dépistage chez les personnes s’étant baignées entre 2011 et 2013 dans le Cavu : sur les 37.000 tests effectués, 110 cas ont été recensés, dont 26 confirmés -tous suite à des baignades survenues au plus tard en 2013.
S’est alors posée la question d’une éventuelle réouverture à l’été 2015, dont a été saisie l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Pour cela, elle fixait trois conditions, dans son avis publié fin avril : aucun cas recensé suite à une exposition en 2014, aucun réservoir animal avéré, mise en place de moyens d’information et de prévention à proximité de la rivière.
Ces conditions étant réunies, la préfecture de Corse-du-Sud a publié, le 3 juin, un arrêté ouvrant de nouveau la baignade dans le Cavu. Elle s’engageait même, comme le conseillait l’Anses, à supprimer cette autorisation si de nouveaux cas, postérieurs à 2013, étaient signalés.
Quatre cas, dont un confirmé
Nous y voici peut-être : publiées le 9 juillet par la revue Emerging Infectious Diseases, éditée par les CDC américains, deux nouvelles études (ici et là) révèlent au moins 4 cas de bilharziose (deux possibles, un probable, un confirmé) survenus suite à une baignade en 2014 dans le Cavu. A la différence de la campagne française de dépistage, ces études n’ont porté que sur des touristes étrangers (Belges, Italiens, Canadiens et Allemands), identifiés par le réseau GeoSentinel.
Autre résultat saillant, mais plus hypothétique, des infections pourraient avoir eu lieu chez 4 personnes –des cas probables ou suspects- s’étant baignées dans d’autres rivières corses, notamment la Solenzara et l’Osu, mais pas dans le Cavu. Or l’Anses fait bien état dans ces deux cours d’eau de la présence de bulins, escargots d’eau douce vecteurs du parasite. Ce qui pourrait suggérer, sous réserve que ces cas soient confirmés, que la maladie se serait étendue hors du Cavu.
Comment expliquer que l’existence de cas en 2014 ne soit connue que maintenant ? Du fait de l’interdiction, « il n’y avait théoriquement pas eu de baignade en 2014 », donc pas d’infection, explique Philippe Gautret, auteur principal de l’une des deux études, qui exerce à l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection à Marseille.
Dans les faits, le signalement de l’interdiction était très discret, se restreignant à « de petites affichettes plantées sur les arbres alentour », et des baignades ont probablement eu lieu, ajoute le chercheur. De plus, la campagne française de dépistage, lancée en juin 2014, était explicitement ciblée sur les personnes s’étant baignées dans le Cavu entre 2011 et 2013… pas vraiment idéal pour identifier des cas contractés en 2014, juge-t-il.
Des cas poil à gratter ?
Ces cas étaient-ils connus des autorités avant la décision de rouvrir la baignade ? Interrogée par le JDLE, la directrice du département des maladies infectieuses de l’Institut de veille sanitaire (InVS), Sylvie Quelet, explique que celui-ci n’aurait eu vent de ces cas étrangers que lors de la publication dans EID, le 9 juillet.
Même écho à l’agence régionale de santé (ARS) de Corse : contacté par le JDLE, son directeur santé publique et médico-social, Serge Gruber, affirme « avoir été averti tardivement de ces cas », après la publication de l’arrêté.
Une version aussitôt réfutée par Philippe Gautret : les autorités sanitaires, dont l’InVS et la cellule interrégionale d’épidémiologie (Cire) Sud, son antenne régionale, étaient « au courant de notre étude : nous avons eu des contacts avec eux, ils ont bien pris note de nos informations, au mois de mai ». Soit avant la publication de l’arrêté préfectoral de réouverture, mais bien après la publication de l’avis de l’Anses.
« Nous leur avons envoyé notre étude au stade préliminaire, mais les informations utiles y étaient déjà mentionnées », notamment celles ayant trait à de possibles infections en 2014, renchérit Philippe Gautret. L’InVS aurait entrepris des démarches afin de mieux s’informer de ces cas, ajoute-t-il.
Une enquête très discrète
A la Cire Sud, on reconnaît qu’une « réponse » à l’article est en cours, tout en renvoyant aussitôt à l’InVS. Serge Gruber indique aussi que « des enquêtes sont en cours à l’étranger [de la part de l’InVS], et qu’il n’a pas encore eu de retour ». Même écho à l’Anses, qui indique que « des investigations menées par l’InVS sont en cours afin de confirmer ou d’infirmer les cas signalés ».
Petit couac à l’InVS : après avoir déclaré au JDLE, vendredi 17 juillet, s’en tenir aux résultats de la campagne de dépistage –aux résultats négatifs pour 2014-, l’institut a finalement affirmé mardi 21 juillet que ce « signal » faisait l’objet d’une vérification auprès des cliniciens étrangers ayant découvert ces cas.
Une enquête dont on ne sait si, et quand, elle a débuté, ni quand elle s’achèvera, et au sujet de laquelle l’InVS ne souhaite pas communiquer –une discrétion qu’il applique à tout travail en cours.
Baignades et investigations
Interrogée sur les deux études d’EID, Sylvie Quelet estime qu’elles « n’ont pas les mêmes objectifs et pas les mêmes méthodes que notre dépistage à grande échelle conduit en 2014 », évoquant la possibilité de faux positifs, faiblesse qu’admettent les auteurs eux-mêmes. Sur les 26 cas recensés par les deux études, 7 sont jugés « confirmés » –dont un dans le Cavu en 2014, rappelle-t-on.
Selon Sylvie Quelet, il faut distinguer deux niveaux. « D’une part, celui du clinicien : afin de mettre son patient dans la situation la plus favorable, une sérologie positive, même faussement positive, conduira le médecin à traiter. D’autre part, la santé publique : ces cas ne sont aujourd’hui pas suffisants pour établir l’existence d’une transmission active de la maladie et pour interdire la baignade ».
C’est ce dernier impératif qui est au centre des missions de l’InVS, rappelle Sylvie Quelet : « nous recherchons un faisceau d’arguments, épidémiologiques, cliniques et biologiques en tenant compte de la performance des tests, pour confirmer une transmission active. Les cas rapportés récemment résultent d’un travail rétrospectif conduit à l’étranger, difficile à conduire et qui mérite confirmation ».
Confirmation sera-t-elle faite ? A l’ARS de Corse, on assure en rester à l’avis de l’Anses, mais être prêt à suspendre la baignade « au moindre signe ». Quant à l’Anses, elle juge que son avis d’avril « n’est pas remis en cause », au moins « dans l’attente d’informations complémentaires et tant que les cas ne sont pas confirmés ». Quant à la mystérieuse investigation de l’InVS, nul ne sait quand ses résultats seront connus. « Quand vient la fin de l’été »… ?
Alain KALT (retranscription)
Articles de cet auteur
- Des choix de plus en plus compliqués pour le climat (Sommes-nous absolument certains que nous avons le problème bien en main ??)
- Lettre ouverte à Monsieur le Maire de lançon - Provence
- Oubliez la chirurgie esthétique : faites du sport !
- Des batteries auto-réparables, de haute capacité et à longue durée de vie
- Café : ne vous privez pas de ce plaisir simple
- [...]
fr 2 - Informations générales Santé nature innovations ?