L’agroécologie décrite par Christophe Taton, un paysan lançonnais éveillé
Pourquoi et comment évoluer vers des modes de productions agricoles plus respectueux de l’environnement et donc de l’humain qui fait par essence partie intégrante de la nature ?
Il y a 20 ans, mon père, agriculteur conventionnel, faisait en moyenne 15 traitements phytosanitaires par an sur ses pommiers. Ces interventions ont modifié l’équilibre naturel de cette culture nous amenant aujourd’hui à traiter encore plus (environ 35 passages par an) avec des molécules toujours plus puissantes (les maladies, insectes et herbes sauvages mutent pour résister aux pesticides). Résoudre un problème (maladie, attaque d’insectes) avec une solution (traitement, remède) qui engendre d’autres problèmes encore plus virulents (pollution, résistance des pathogènes, toxicité des aliments, eutrophisation des plans d’eau …), nous entraine dans l’engrenage d’une fuite en avant favorable à une agriculture très peu durable.
La science fondamentale (découverte d’une molécule) est détournée dans l’intérêt de la science appliquée (commercialisation sans conscience de cette molécule). « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » (Rabelais).
L’alternative se trouverait elle tout simplement dans le respect du sol (terre nourricière) et de la biodiversité ? Le sol, support de la vie terrestre, est exploité avec une culture de profit au lieu d’être respecté dans toute sa splendeur nourricière.
La forêt est belle, luxuriante et saine, pourtant, elle se développe sans pesticides, engrais ou mécanisation. Elle est autonome. Observer et comprendre le fonctionnement des biotopes naturels afin de les appliquer aux pratiques agricoles et au jardin est un des fondements de l’agroécologie.
La première observation est qu’une forêt comporte de nombreuses espèces végétales et animales (biodiversité). En s’inspirant d’elle, nous pourrions favoriser le système agro-sylvo-pastoral : zones agricoles diversifiées (céréales, arboriculture, maraichage), zones de forêts et zones d’élevage dans les mêmes secteurs au lieu de continuer à travailler en monoculture.
La deuxième observation est que la matière organique (feuilles mortes, brindilles, …) tombant sur la surface est recyclée par la vie du sol (faune, micro faune et microflore). Le sol, trop souvent considéré comme un simple support inerte a un système de vie très élaboré et tout travail du sol mécanique, tout épandage d’engrais ou pesticide perturbe cette vie et met à mal son fonctionnement. Le bio-mimétisme conseillé par l’agroécologie nous incite donc à faire en sorte que cette vie du sol soit favorisée par nos actions sur les cultures et dans le jardin. Ce réseau alimentaire complexe (réseau trophique) transforme les matières organiques en humus et en éléments nutritifs (assimilables) pour les plantes. Ainsi, les collemboles, myriapodes, cloportes et autres insectes détritivores fragmentent les déchets végétaux et par leurs déjections amorcent le processus d’humification. Les champignons continuent le travail en s’attaquant à la cellulose et les bactéries (plusieurs milliards dans une poignée de terre vivante) participent à la minéralisation (désorganisation des biomolécules en éléments simples assimilables par les plantes : calcium, potassium, azote, phosphore, magnésium, souffre ….). Les vers de terres remontent les minéraux en surface dans leurs excréments (turricules), ils brassent les argiles et les humus pour former le complexe argilo humique stable qui retient l’eau et les minéraux.
Pour vous rendre compte de cette activité, mettez quelques épluchures de légumes au pied d’un arbre et recouvrez d’une couche de paille (5 à 10 centimètres). Quelques jours (ou semaines selon la saison) plus tard, en soulevant la paille, vous pourrez observer une effervescence de vie au service de votre arbre. Après quelques mois, en prenant une poignée de terre, vous ressentirez la souplesse, l’aération et la structure grumeleuse du sol (structure en grains de semoule de Lydia et Claude Bourguignon. cf : Le sol, la terre et les champs). Humez aussi sa bonne odeur de sous bois due à l’activité des bactéries filamenteuses (actinomycètes) créatrices d’humus.
Dans le sol, il existe aussi plusieurs sortes de symbioses entre les plantes et la micro flore :
Symbiose entre plante et mycorhize (myco : champignon. rhize : racine) : en échange des sucres issus de la photosynthèse et exsudés par les racines, le champignon mycorhizien va fournir de l’eau et des minéraux à la plante (la truffe est un exemple de symbiose mycorhizienne ).
Symbiose entre certaines plantes (légumineuses) et bactéries (rhizobium) : en échange du gîte et du couvert, la bactérie fixe l’azote de l’air en ammonium assimilable par la plante. Les légumineuses sont des plantes riches en protéines. Le constituant de base des acides aminées et des protéines est l’azote, ce qui explique l’intérêt de cette symbiose.
Cette activité foisonnante qui lie le monde organique et le monde minéral permet de structurer, d’aérer et de rendre le sol fertile et fécond. Dans un sol vivant, pendant un orage, les minéraux et le sol, au lieu d’être lessivés et emportés dans les rivières sont retenus dans le complexe argilo humique. Le sol vivant permet le stockage, la filtration et l’infiltration (percolation) de l’eau en excès. Les cultures peuvent ainsi puiser tous les minéraux et oligo-éléments dont elles ont besoin au moment où elles en ont besoin. Grâce à tous ces minéraux, avec l’aide des micro-organismes et de la biodiversité fonctionnelle, les plantes pourront mettre en place leurs défenses immunitaires naturelles contre les maladies et les ravageurs. Les fruits, légumes et fourrages ainsi cultivés seront d’une grande qualité nutritive et gustative pour les hommes et les animaux d’élevage.
Transiter de l’agronomie vers l’agroécologie a changé mon regard sur l’agriculture, mes pratiques culturales ont été bouleversées et visent à respecter et entretenir la vie sous toutes ses formes. Ma façon de consommer (alimentaire ou non) a aussi été modifiée et s’oriente vers des modes de production respectueux et durables.
Produire en encourageant la vie, devenir co-acteur avec la nature, la laisser s’exprimer librement, en équilibre, sans contrainte. Le sol est le théâtre d’activités et d’interactions croisées multiples, soyons humbles face à cette complexité et ce génie du vivant en employant des méthodes respectueuses de l’environnement. Connaitre le milieu avant de le gérer nous procurera les clefs du sol, base d’une alimentation saine.
Taton Christophe
Viticulteur bio au Cellier des coteaux de Lançon.
Alain KALT (retranscription)
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