La Montagne d’Or en Guyane : un gouffre environnemental et financier
Une grande compagnie minière s’intéresse de très près au sous-sol de la forêt amazonienne guyanaise. L’objet de la convoitise : les 85 tonnes d’or qui s’y trouvent. Appelé Montagne d’Or, ce projet minier aurifère concentre de nombreux défis techniques, environnementaux et économiques pour son implantation et son exploitation. L’enjeu écologique est primordial, avec l’hypothétique compensation de la biodiversité détruite par l’implantation de la mine et, à la fin de l’exploitation, celle de la réhabilitation du milieu forestier tropical sur lequel elle a été implantée. Pourquoi ce projet de méga-mine d’or fait-il tant débat ? France Nature Environnement et sa fédération régionale Guyane Nature Environnement, qui regroupe les associations GEPOG, KWATA et SEPANGY, considèrent qu’il doit être évité. Il concentre des risques et des impacts irréversibles… sans parler de son mode de développement non durable et destructeur de biodiversité. Tour d’horizon des nombreuses raisons de refuser ce projet colossal et passéiste.
Le projet minier Montagne d’Or : qu’est-ce que c’est ?
La Montagne d’Or est le premier projet minier aurifère à échelle industrielle en Guyane. Les dimensions de cette mine à ciel ouvert sont pharaoniques : 2,5 kilomètres de long, 400 mètres de large et jusqu’à 320 mètres de profondeur. Elle serait située en plein cœur de la forêt guyanaise, seule grande forêt tropicale humide de l’Union européenne, d’une surface de 8,35 millions d’hectares, soit 15 % de la surface de la France métropolitaine (l’équivalent de la surface du Portugal). Au moins 127 espèces animales et végétales protégées sont recensées sur le site. L’extraction de l’or durerait 12 ans, dans cette gigantesque mine à ciel ouvert et peut-être plus aux alentours. A terme, 54 millions de tonnes de minerai auront été forés, pour seulement 1,6 g d’or par tonne de minerai.
Un désastre écologique en perspective
Une destruction inévitable de la biodiversité
La Guyane abrite une faune et une flore d’une richesse exceptionnelle et recèle encore de nombreuses espèces inconnues, notamment pour la science. A l’heure où l’accélération de l’érosion mondiale de la biodiversité est devenue fondamentale pour l’avenir du Vivant, le développement d’un tel projet nécessitera de faire disparaître 1 500 hectares de forêt pour l’installation de la mine, de ses installations annexes et de la construction de la route qui la reliera au littoral.
Pas moins de 2 000 espèces, dont 127 espèces protégées, vont voir leur habitat détruit ou perturbé. Des menaces pèsent également sur la plus grande réserve biologique intégrale de France (réserve de Lucifer Dékou-Dékou) : le projet d’exploitation minière s’étalerait sur une partie de cette dernière. La compensation en surface et en équivalences écologiques de telles atteintes à la biodiversité, conformément à la règle « pas de perte nette » de la loi biodiversité d’août 2016, paraît tout simplement impossible.
D’importants risques d’intoxication de l’environnement
Au-delà de l’inévitable destruction de la biodiversité provoquée par un tel projet, de nombreux risques d’exploitation laissent craindre une réelle intoxication de tout l’écosystème sur cette zone :
Des risques liés à la fabrication, sur place, des explosifs qui serviront à l’extraction de millions de tonnes de roches par cyanuration. Les besoins en explosifs sont considérables pour extraire chaque jour 12 500 tonnes de roches : 20 tonnes de nitrate d’ammonium par jour[Estimation, en attente du chiffre officiel de la Compagnie Minière Montagne d’Or.]. Au total, 57 000 tonnes d’explosifs, 46 500 tonnes de cyanure et 142 millions de litres de fuel seront nécessaires pour extraire l’or sur les 12 ans du projet.
Des risques liés au transport de matières dangereuses : les composants nécessaires à la fabrication des explosifs, ainsi que le cyanure (8,33 tonnes utilisées par jour).
Des risques liés à la fiabilité du stockage des boues issues de la cyanuration. Des millions de tonnes de roches broyées et cyanurées seront stockées sous forme de boues dans des parcs à résidus, qui devront être en capacité de résister dans le temps et l’espace. Le risque de pollution de l’environnement est grand : des catastrophes écologiques et humaines liées à la rupture de digues associées à la forte pluviométrie locale sont connues, notamment au Brésil. Pour mémoire, la pluviométrie tropicale de cette zone, avec 3 000 mm par an, et les inondations de mars 2017 sur le moyen et bas Maroni, constituent une alerte forte sur la prise de risques pour les bassins versants concernés.
L’ouverture et la profondeur de la mine entraînent d’autres risques de pollution, comme le perçage de nappes phréatiques et le drainage minier acide. La mise à jour du substrat rocheux naturellement sulfuré (aussi bien sur le site d’extraction qu’au niveau du stockage des stériles miniers), risque de provoquer une acidification des eaux de surface et souterraines susceptibles alors d’accumuler des métaux lourds présents dans les roches (plomb, cadmium, cuivre, mercure…) et de les disséminer par ruissellement. En Guyane, le sol renferme notamment du mercure. Là encore, la pluviométrie locale rend le risque difficilement maîtrisable. A l’heure actuelle, la Compagnie minière Montagne d’Or, maître d’ouvrage du projet, n’a fourni aucun élément concret pour évaluer ce risque.
Environnement, santé, emploi : les populations autochtones, grandes oubliées du projet
La société guyanaise, composée de plus de 25 ethnies, est multiculturelle et riche en savoirs traditionnels. Outre leurs langues, les communautés amérindiennes, Bushinengués d’origine africaine, Créoles… ont en particulier su conserver des savoir-faire, des valeurs culturelles et des connaissances dans le domaine agricole, des plantes et de la faune : un mode de vie respectueux de l’environnement, à l’opposé des projets miniers titanesques comme celui de la Montagne d’Or. De plus, de nombreuses populations amérindiennes consomment traditionnellement beaucoup de poissons, et subissent encore aujourd’hui les effets de la contamination au mercure, utilisé pour l’orpaillage. En plus de la destruction du patrimoine archéologique, cette nouvelle dégradation de leur environnement les expose directement et conduira inéluctablement à de nouveaux drames sanitaires liés au risque de contamination de l’eau par le cyanure et les métaux lourds et entache leur mode de vie traditionnelle. Le site industriel est situé en tête de bassin versant de la Mana ainsi que du site Ramsar de la basse Mana et de la réserve naturelle nationale de l’Amana.
A cette catastrophe sanitaire annoncée s’ajoute la problématique de l’emploi, dans une région avec un taux de chômage particulièrement élevé (54% de chômage dans l’ouest guyanais, et 26% dans l’ensemble de la Guyane). En effet, l’évolution des industries extractives conduit à une forte mécanisation ; les emplois créés sur les sites sont donc généralement réservés à un personnel spécifiquement qualifié et profitent peu aux populations locales. La Compagnie minière Montagne d’Or, maître d’ouvrage du projet, réussira-t-elle à créer des emplois qui profiteront durablement aux guyanais, sans discrimination dans la répartition ? La création d’emplois est aussi à mettre en perspective avec les subventions ou exonérations fiscales (crédit d’impôt) dont le projet doit bénéficier. À cela s’ajoute la contribution de l’Etat en investissement pour la route, la fourniture d’énergie… qui sont autant de crédits publics qui serviront la Compagnie minière, mais pas le développement global du territoire (besoins sanitaires, enseignement, aménagement du territoire…).
Enfin, la rentabilité du projet est liée au cours de l’or. Si cette dernière n’a plus la même profitabilité, le social et l’environnement seront les variables d’ajustement faciles à mettre en œuvre. Que deviendront alors les conditions de travail et avec quel niveau de sécurité le projet sera-t-il déployé ?
Une problématique économique d’ampleur nationale
Outre les impacts environnementaux, sanitaires et sociaux du projet, son financement pose également question. Les besoins pour mener un tel projet minier industriel vont nécessiter des financements importants, estimés à 572 millions d’euros. Il serait déjà annoncé une avance de 60 millions d’euros, rien que pour les infrastructures routières, qui seront, tout compte fait, à la charge du contribuable. La hauteur et la diversité de l’investissement, en partie sur fonds publics, laissent penser qu’ils s’inscrivent dans une dimension d’accueil d’autres projets miniers… avec la répétition et l’addition des lourdes problématiques sociales, techniques et environnementales actuelles.
L’équilibre financier d’une telle opération questionne également, entre la nécessité d’investissements publics massifs et la perspective de bénéfices privés in fine peu profitables au territoire. Quelle est la redistribution des richesses produites par le projet, tant au profit des populations locales que des collectivités territoriales par la taxe minière ?
Quelles alternatives ?
Halte à l’exploitation minière : recyclons !
Selon les estimations de ressources du gisement, la France reviendrait dans le cercle des producteurs mondiaux d’or de premier rang. Mais pour quelle viabilité économique ? Si les métaux rares, tels que l’or, constituent un objectif stratégique pour les besoins de l’économie française, il serait préférable de développer une filière de recyclage de l’ensemble des déchets électriques et électroniques en Guyane. Une telle industrie est pour le moment inexistante dans cet espace sud-américain et caribéen. En l’espèce, la France a satisfait ses besoins aurifères : l’enjeu est désormais de préserver ses richesses minérales à long terme, au lieu de les extraire pour un bénéfice de court terme.
Un vrai projet de territoire pour la Guyane
Des projets d’investissements sont à privilégier dans des filières locales à forte valeur ajoutée : écotourisme, agriculture et aquaculture durables, pêche, énergies renouvelables, bois, économie sociale et solidaire… Mais ces filières ne pourront prendre l’ampleur souhaitée que si l’ensemble des énergies et des fonds convergent vers cet idéal de développement endogène maîtrisé. Tout investissement de fonds publics qui viserait à soutenir le développement de l’industrie minière industrielle réduirait d’autant la possibilité d’émergence de filières locales structurées et pérennes.
Les propositions d’un rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable, sur le développement basé sur la valorisation de la biodiversité et les atouts naturels de la Guyane, peuvent également apporter des éléments tangibles et concrets pour offrir des alternatives crédibles pour un développement durable de ce territoire.
Nos demandes
France Nature Environnement et Guyane Nature Environnement ont saisi la Commission nationale du débat public (CNDP) pour organiser un débat public d’ampleur nationale, refusé par le maître d’ouvrage qui souhaitait une concertation publique sous sa propre conduite. La CNDP a répondu favorablement à la demande de nos associations, mais en organisant ce débat public uniquement en Guyane. Il a donc débuté le 7 mars dernier et se déroulera jusqu’au 7 juillet 2018 ; son animation est confiée à une commission particulière chargée de veiller à son bon déroulement, et notamment à une information la plus complète possible.
Le dossier fourni par la Compagnie Minière Montagne d’Or a fait l’objet d’une lecture approfondie au sein de France Nature Environnement, en métropole et en Guyane. Ce dossier raconte une belle histoire, loin de la réalité… Les risques sont minimisés, les propos très généraux, il manque beaucoup de données importantes pour évaluer le projet et les études fournies sont insuffisantes.
C’est pourquoi France Nature Environnement demande, d’une part, à la Compagnie Minière Montagne d’Or de mettre à disposition toutes les études et les données demandées et de les compléter si besoin. D’autre part, dans un contexte où le maître d’ouvrage ne peut-être instructeur et partie, notre fédération demande la réalisation d’expertises complémentaires par des organismes indépendants.
Alain KALT (retranscription)
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