La tomate cœur de bœuf, une supercherie qu’il faut dénoncer
Par Jean-François Arnaud
C’est la star des tomates mais 90% de celles que vous achetez sont des contrefaçons, issues de croisements avec des variétés industrielles sans saveur. Flairant un bon filon, la filière bretonne s’est mise à produire en quantité industrielle des tomates ayant l’aspect des variétés anciennes alors qu’elles sont issues de croisements on ne peut plus récents. (SIPA) Flairant un bon filon, la filière bretonne s’est mise à produire en quantité industrielle des tomates ayant l’aspect des variétés anciennes alors qu’elles sont issues de croisements on ne peut plus récents. (SIPA)
Ce n’est pas, fort heureusement, un nouveau scandale sanitaire. Mais, presque aussi grave, une gigantesque supercherie qui risque de longtemps prolonger la défiance des consommateurs envers ce qu’on leur donne à manger. Cela fait une quinzaine d’années maintenant que la tomate, deuxième produit le plus consommé du rayon primeurs, derrière la pomme de terre, est devenue l’enjeu d’une bataille commerciale acharnée. Jamais on n’a vu sur le marché des fruits et légumes un produit aussi "marketé".
Il faut bien dire qu’il y avait là, tous les ingrédients pour retourner le marché : une forte demande des consommateurs et donc des enjeux financiers considérables, une non moins forte insatisfaction de ces consommateurs qui regrettent tous le goût des tomates d’antan, la pression de la grande distribution qui réalise entre 6 et 10% de ses ventes de primeurs avec la tomate et enfin, l’absence jusque-là de stratégie marketing élaborée. Il se consomme aujourd’hui plus de 14 kg de tomates par an et par habitant en France. Ce marché pèse 1,3 milliard d’euros.
Dans les années 2000, la grande distribution a senti que ses clients étaient en train de se lasser des tomates en vrac, sans odeur, sans saveur, cultivées hors sol, qui étaient alors sur le marché. Il faut bien reconnaître que le comportement des consommateurs est paradoxal. Ils demandent des tomates toute l’année, ce qui oblige les commerçants à s’approvisionner au Maroc, avec des produits pouvant supporter le transport et une conservation plus longue, et donc moins de goût, et, dans le même temps, ils se plaignent du goût insipide des tomates qu’ils achètent en plein hiver.
La recette bretonne pour appâter le chaland
C’est la filière bretonne qui a trouvé la solution en "premiumisant" le marché grâce plusieurs innovations. Une réactivité qui permet à la Bretagne et à sa voisine, les Pays de la Loire de fournir aujourd’hui plus de la moitié de la production française. La tomate grappe est alors née. Avec son aspect plus sauvage, sa couleur rouge éclatant, et ses fruits reliés entre eux par une tige libérant un fort parfum caractéristique, elle a été longtemps le produit parfait.
Elle a été suivie par la tomate cerise, qui a permis à ce produit de s’inviter à l’heure de l’apéritif et dans les utilisations nomades, deux moments de consommation qui font rêver toute l’industrie alimentaire et où les grands industriels du secteur réussissent moins bien avec leurs snacks et leurs marques mondiales. La tomate a aussi bénéficié des recommandations sanitaires sur la consommation de 5 fruits et légumes par jour. Il est plus facile de prendre des tomates cerises que des brocolis ou même des endives. Mais ce n’était pas encore suffisant.
Les consommateurs ont fini par se lasser aussi de la grappe pour la simple raison qu’elle n’est pas très bonne. Produite hors sol, son goût est assez fade même si son odeur est puissante. "On n’en veut même pas pour faire du ketchup,car cela obligerait à rajouter beaucoup d’arômes et de sucre", confie un professionnel. Le filon juteux des tomates anciennes
Les experts en marketing, ont bien entendu ce qui revient constamment dans les commentaires des consommateurs : "les tomates étaient meilleures autrefois !". Qu’à cela ne tienne, il suffisait de relancer, en les adaptant, les variétés de tomates anciennes. Surfant sur la mode des légumes oubliés et le discours des grands cuisiniers passionnés par leurs potagers, la filière bretonne s’est mise à produire en quantité industrielle des croisements de tomates ayant l’aspect des "coeurs de boeuf" ou d’autres variétés anciennes.
L’idée de départ consistait à segmenter à nouveau le marché en créant cette catégorie plus lucrative encore, des tomates oubliées, après une segmentation par la taille, par la forme et par la couleur. Un énorme succès. Ces variétés sont largement plébiscitées par les consommateurs. Mais le seul inconvénient, toujours le même, c’est le goût. "Ce que l’on appelle "cœur de bœuf" sont à 90% des produits insipides, creux, à la peau épaisse et de consistance farineuse, s’indigne Alain Cohen, grossiste à Rungis. La véritable cœur de bœuf est savoureuse, molle quand elle est mûre et ne se conserve pas plus de trois jours".
Consciente du problème, la DGCCRF a invité les commerçants à ne qualifier de cœur de bœuf que les tomates, elles sont très rares dans les commerce, de cette variété et non pas les nombreux croisements que l’on en fait. L’enjeu économique est considérable quand on sait que les variétés croisées ont un rendement cinq à six fois plus efficace à l’hectare. Et le problème n’est pas près d’être résolu car derrière cette cœur de bœuf plébiscitée par les Français, d’autres variétés contrefaites sont annoncées : la tomate ananas, la noire de Crimée, la green zebra. La salade va prendre des couleurs mais le consommateur qui rit jaune, risque de faire une colère noire.
Alain KALT (retranscription)
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