Plus de cancers dans les avions ?
Le 05 septembre 2014 par Romain Loury
Le personnel navigant des compagnies aériennes, en particulier les pilotes, serait plus à risque de développer un mélanome que la population générale, selon une étude publiée dans la revue JAMA Dermatology. Ce phénomène pourrait être lié à certains rayons ultraviolet, plus intenses en altitude.
Le mélanome, nouvelle maladie professionnelle des compagnies aériennes ? C’est ce que suggère cette méta-analyse publiée par l’équipe que Martina Ortiz-Urda, dermatologue à l’université de Californie à San Francisco. Regroupant un total de 11 études publiées, soit près de 267.000 individus inclus, elle révèle un risque de mélanome multiplié par 2,22 chez les pilotes, par 2,09 chez les autres membres d’équipage, dont les stewards et hôtesses de l’air.
Selon les chercheurs, la cause la plus probable serait les ultraviolets de type A, dont 54% traversent le plastique des fenêtres –contre seulement 1% pour les UV de type B. A 9.000 mètres d’altitude, l’intensité des UV-A serait le double de celle au sol. Et si l’avion vient à survoler les nuages, le taux de réflexion atteindrait jusqu’à 85%.
Exposition à bord ou lors des escales ?
Confrontés à ces résultats, les interlocuteurs du JDLE indiquant n’avoir jamais eu vent d’un tel risque. La plupart se montrent même dubitatifs quant à ces résultats. « Je n’ai jamais vu un pilote conduire son avion tout nu », ironise une source médicale du Centre principal d’expertise médicale du personnel navigant (CPEMPN), à l’hôpital d’instruction des armées Percy (Clamart, Hauts-de-Seine).
Selon ce médecin, qui préfère garder l’anonymat, l’étude pâtirait de plusieurs failles propres aux analyses épidémiologiques. Notamment un « biais de recrutement » : « le personne navigant est suivi de manière régulière, avec une visite au moins annuelle à la médecine du travail », explique-t-il. Ce qui pourrait expliquer un meilleur diagnostic de la maladie dans cette population, et donc une hausse artéfactuelle de l’incidence.
Autre écueil, l’étude ne prouve en rien que l’éventuel facteur de risque, s’il existe, s’exerce à bord de l’appareil, ou à terre. Or le personnel navigant, par définition appelé à voyager, se retrouve plus fréquemment à séjourner dans des pays très ensoleillés. Une critique que les chercheurs anticipent dans leur article : selon eux, d’autres études ont suggéré un lien entre le risque de mélanome et le nombre d’heures de vol.
Contacté par le JDLE, le secrétaire de la section Air France du Syndicat national du personnel navigant commercial (SNPNC), Christophe Pillet, estime aussi qu’il est difficile de faire la part entre une exposition à bord de l’avion ou au sol. Réalité ou non, l’éventuel risque UV ne fait en tout cas l’objet d’aucune surveillance de la part des compagnies aériennes ou de la médecine du travail.
Les rayonnements cosmiques, un risque surveillé
Et ce à la différence des rayonnements cosmiques, auxquels le personnel navigant est très exposé. Comme toute entreprise dont le personnel est susceptible de dépasser la dose de 1 milliSievert/an, les compagnies aériennes sont tenues d’effectuer des mesures pour chacun de leurs employés.
Différence majeure par rapport à l’industrie nucléaire, le domaine aérien ne recourt pas à des dosimètres individuels, mais à un calcul en fonction des vols effectués par chaque personne au cours du mois. Pour cela, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a mis au point le système SievertPN, qui livre des valeurs pour chaque destination à la surface du globe.
Chaque mois, une dose est ainsi calculée pour tout pilote, steward ou hôtesse de l’air. Selon le rapport 2013 dressé par l’IRSN, reposant sur deux compagnies (Air France, Air Calédonie International), la moyenne était de 1,9 mSv/an, avec un maximum de 4,5 mSv/an. Bien au-delà de la moyenne observée parmi les salariés de l’industrie nucléaire, de 1,27 mSv/an.
« Dans certains compagnies, cela peut monter jusqu’à 6 mSv/an, mais nous sommes très loin des 20 mSv/an », limite réglementaire pour les professionnels exposés aux radiations ionisantes, indique le chef du service de dosimétrie externe de l’IRSN, Jean-François Bottollier-Depois.
A défaut d’ultraviolets, les rayonnements cosmiques pourraient-ils entraîner des mélanomes chez le personnel navigant ? A priori non, selon l’expert de l’IRSN. D’une part, « il n’y a pas d’effet sanitaire prouvé au niveau de rayonnement » qu’endure le personnel navigant, juge Jean-François Bottollier-Depois. D’autre part, même à forte dose, ce serait plutôt des leucémies et des cancers de la thyroïde que l’on observerait, et non des mélanomes. L’hypothèse est d’ailleurs écartée par les auteurs de l’étude.
Selon l’expert médical du CPEMPN, l’irradiation cosmique aurait diminué depuis « l’époque héroïque de l’aéronautique dans les années 1950, 1960 » : nouveaux matériaux, trajectoires frôlant moins souvent les pôles (vers lesquels l’irradiation s’élève), fin du Concorde, qui volait à plus haute altitude.
Ce qui n’est pas une mauvaise chose, car « à part mesurer, il n’y a pas grand-chose à faire pour se protéger de ces rayonnements », rappelle Jean-François Bottollier-Depois. A moins de renforcer leurs parois par des murs de plomb, ce qui, en les clouant en sol, serait la meilleure manière d’éviter les dangers de l’altitude.
Alain KALT (retranscription)
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