Environnement Lançonnais

La triste fin du Pr Khayat, cancérologue

lundi 16 mars 2015 par Alain KALT (retranscription)

Chère lectrice, cher lecteur,

C’est un des plus grands pontes, selon les médias, de la cancérologie en France.

Il est chef de service d’oncologie (cancérologie) médicale de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris depuis 25 ans.

Il est également professeur de cancérologie à l’Université Pierre et Marie Curie (Paris VI), et Professeur invité à Houston, Texas.

Il est membre du conseil de direction de l’American Society of Clinical Oncology, ancien directeur de l’Institut national du cancer et membre du comité de rédaction des plus prestigieuses revues scientifiques sur le cancer.

Bref, si vous ou un proche aviez le cancer, vous seriez peut-être tenté de tout sacrifier pour confier votre guérison à ce médecin ami de François Mitterrand, de Jacques Chirac, de Bernard-Henri Lévy et de bien d’autres. Le vrai régime anticancer

En 2010, suite au succès du livre « Anticancer » du Dr David Servan-Schreiber, le Pr David Khayat publie « Le vrai régime anticancer » qui deviendra un best-seller[1].

A priori, le titre peut laisser croire qu’il cherche à contredire David Servan-Schreiber. Les médias se jettent sur l’occasion pour essayer de créer de toutes pièces une polémique[2].

En réalité, ce livre marque un immense pas en avant dans la médecine officielle. Enfin, un grand « mandarin de la cancérologie » qui n’a pratiquement fait que prescrire de la chimiothérapie et de la radiothérapie à ses patients, s’intéresse à l’alimentation !

Quel choc. Mais quelle bonne nouvelle, soulignera David Servan-Schreiber.

Car malgré quelques divergences avec lui, bien naturelles lorsque deux scientifiques travaillent sur le même sujet, le Pr Khayat recommande en toutes lettres de boire, par exemple, du jus de grenade et du thé vert, de se préoccuper de ses apports en sélénium (un minéral trace antioxydant) ou encore de manger des brocolis, riches en composés anticancer.

La révolution est en marche. Les méthodes naturelles sortent du « ghetto » pour entrer, par la grande porte, dans la cancérologie officielle ! Et c’est grâce au Pr David Khayat.

Le livre qui aurait pu être son couronnement

Octobre 2014 : le Pr Khayat sort un nouveau livre, « Prévenir le cancer », dans lequel il enfonce le clou.

Il reconnaît officiellement, ce qui est remarquable pour un médecin si haut placé, qu’il a « changé d’avis » : « Pendant cette période de près de quarante années passées au chevet de tant de patients, habité par mes espérances dans le progrès médical, j’ai acquis la conviction que le meilleur moyen de vaincre cette maladie, et plus encore d’éviter les souffrances et séquelles, parfois terribles, de traitements anticancéreux, réside, sans aucune discussion possible, dans la prévention. »

Pas moins d’un tiers de son livre est consacré à l’alimentation, avec 40 pages de conseils. Tournant résolument le dos à la politique du « tout-médicament » (on attend que le patient tombe malade et on le traite), il reconnaît publiquement qu’il n’y a « pas de fatalité face à la maladie », et que manger bio et avoir une bonne hygiène de vie diminue les risques.

Il affirme s’être lui-même « converti ». Désormais : « Je profite des antioxydants qui ont fait leurs preuves, comme le curcuma et l’ail, et je pratique une relaxation qui me fait du bien, que j’ai adaptée à mes besoins et à ma disponibilité », déclare-t-il dans la presse [3].

Et de fait, on trouve dans son livre d’intéressants développements recommandant notamment de boire du thé vert, « très protecteur », et également de consommer plus de vitamine B6, de quercétine, de méthionine, en plus de la grenade, de l’ail, du sélénium, du curcuma et des brocolis cités plus haut.

Mais il va encore plus loin : « Pendant de nombreuses années, je dois le reconnaître, j’ai été assez réfractaire à l’idée que le stress, le malheur, la tristesse puissent être à l’origine du cancer » (…)

Mais aujourd’hui « j’ai changé d’avis ». « Oui, j’ai l’intime conviction que notre vie spirituelle interfère avec notre ADN et est susceptible, selon, d’être prophylactique (protéger contre le cancer) ou, au contraire, terriblement délétère ! (favoriser le cancer). » [4]

Cette fois, ce n’est plus un choc, c’est une REVOLUTION. À la limite, il va encore plus loin que le Dr David Servan-Schreiber.

Ce livre aurait dû être son couronnement.

Faute lourde

On applaudit des deux mains, lorsque… patatras, le Dr David Khayat sort de telles énormités scientifiques qu’on se demande presque si c’est bien lui qui a écrit ce livre.

Un sévère rappel à l’ordre de l’Ordre des Médecins paraît désormais inévitable. Le Pr David Khayat risque en effet d’être sanctionné pour infraction à au moins trois articles fondamentaux du Code de déontologie.

En effet, selon le Code de déontologie médicale :

-Article 13 :

« Lorsqu’un médecin participe à une action d’information du public, il doit ne faire état que de données confirmées, faire preuve de prudence et avoir le souci des répercussions de ses propos auprès du public. » [5]

-Article 31 :

« Tout médecin doit s’abstenir, même en dehors de l’exercice de sa profession, de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci. » [6]

-Article 40 :

« Le médecin doit s’interdire, dans les investigations et interventions qu’il pratique comme dans les thérapeutiques qu’il prescrit, de faire courir au patient un risque injustifié. » [7]

Or, nous allons le voir, ces trois principes sont piétinés par un Pr David Khayat qu’on ne reconnaît plus.

Quelle triste issue pour un homme qui avait tant contribué à faire justice aux méthodes naturelles !!

La vitamine D et les oméga-3 donneraient le cancer !! En page 62 de son nouveau livre, malheureusement déjà dans toutes les librairies, le Pr David Khayat écrit noir sur blanc l’énormité suivante.

Selon lui, la vitamine D n’entraîne pas de diminution du cancer chez l’homme. Il va jusqu’à raconter que des chercheurs se sont récemment aperçus qu’un taux élevé de vitamine D élevé dans le sang entraîne une augmentation « énorme » du risque de cancer de la prostate.

En appui de cette allégation incroyable, le Pr David Khayat cite la seule méta-analyse ayant jamais montré une association entre un taux élevé de vitamine D et un taux plus élevé d’un seul cancer.

L’étude qu’il cite est celle du Dr Xu publiée en 2014 dans le Journal of Cancer Research and Clinical Oncology [8], sur la base de quoi il prend le risque inouï de déconseiller fortement la vitamine D pour tous les hommes, contre tous les cancers. Ce qui revient à dire, contre tout bon sens, que s’exposer au soleil, même très légèrement, serait devenu toxique !

Pourtant, le Dr Xu lui-même avait pris ses propres résultats avec des pincettes, dans la mesure où ils sont en contradiction avec la plupart des recherches qui indiquent soit un effet favorable de la vitamine D, soit un effet neutre.

Dans la conclusion de son étude, le Dr Xu y va très prudemment. Il précise bien que c’est la « première fois » qu’une méta-analyse « suggère » une « possible relation positive significative » entre un taux élevé de vitamine D et un risque plus élevé de cancer de la prostate [9]. C’est la manière classique de dire, dans le jargon des chercheurs, qu’il faut absolument que ce fait incroyable soit confirmé par d’autres études avant d’en tirer des conclusions.

Et les autres chercheurs adoptent la même attitude de prudence. Sur le site de référence au niveau mondial sur le cancer de la prostate et la vitamine D, cancer.gov, on peut lire le commentaire suivant pour interpréter l’étude du Dr Xu : « Une explication proposée pour cette observation pourrait être un biais potentiel de diagnostic : les hommes issus des groupes sociaux économiques les plus élevés ont à la fois tendance à avoir plus de vitamine D dans le sang, et tendance à passer plus de tests PSA de détection du cancer de la prostate, ce qui a pour conséquence d’entraîner un taux d’incidence rapporté plus élevé. » [10]

L’explication serait la suivante : plus un homme fait attention à sa santé, plus il a tendance à prendre des compléments de vitamine D. Mais comme il fait attention à sa santé, il fait aussi plus de dépistages du cancer de la prostate. Cela aboutit forcément à plus de diagnostics de cancer de la prostate, car ce cancer évolue très lentement. Si vous ne vous faites pas dépister, vous risquez beaucoup moins de vous apercevoir un jour que vous avez un cancer. Cela expliquerait l’impression que les hommes ayant un fort taux de vitamine D aient davantage de cancers de la prostate.

Par ailleurs, le site cancer.gov cite plusieurs études qui indiquent que les hommes ayant peu de vitamine D ont un risque accru de cancer de la prostate [11]. Il faut noter enfin, ce qui est encore plus important, que quand bien même il serait vrai que la vitamine D augmente le risque de cancer de la prostate (ce qui paraît extrêmement douteux), il n’en reste pas moins que l’effet positif de la vitamine D contre les autres types de cancer est bien établi, ainsi que pour le diabète et les maladies cardiaques, causes majeures de décès [12] [13] [14] [15].

Dans ces conditions, affirmer à des patients que la vitamine D est dangereuse pour eux relève de la pire des imprudences.

Plus grave, c’est de la mise en danger de la vie d’autrui : selon une célèbre étude de Harvard, 29 % des décès par cancer pourraient être évités grâce à de meilleurs niveaux de vitamine D dans les populations, ce qui représente 2 millions de vies sauvées chaque année au niveau mondial [16].

Mais ce n’est pas tout.

Discrédit

Le Dr David Khayat fait encore pire : dès la page suivante, voilà qu’il récidive en attaquant les oméga-3.

Cette fois, on tombe encore plus bas, si c’était possible : « Les oméga-3 sont-ils vraiment dangereux ? La réponse est oui. »

« En effet, au moins deux études importantes ont été publiées qui arrivent à la même conclusion : la consommation importante d’oméga-3 augmente considérablement le risque de développer un cancer de la prostate. Et ce n’est pas tout : cette augmentation est encore plus importante pour ce qui est des cancers les plus agressifs de la prostate. Ceux qui tuent ! » >

« Alors messieurs d’âge moyen, surtout si vous avez des antécédents familiaux de cancer de la prostate, abstenez-vous de prendre des suppléments d’oméga-3 et évitez les poissons gras… » [17]

Et il aggrave son cas à la page suivante : « Il ne faut pas jouer l’apprenti sorcier et avaler n’importe quoi tous les jours sans être vraiment sûr au moins de l’innocuité de ce que l’on prend. »

« Pas d’oméga-3 en compléments alimentaires chez les hommes et, pour les deux sexes, évitez le saumon et autres poissons gras ! »

Pourtant, là encore, les deux études qu’il cite sont parfaitement connues et ont été amplement discutées dans la presse scientifique.

La première citée est l’étude du Dr Brasky publiée dans le Journal of the National Cancer Institute [18].

S’il est vrai que cette étude conclut à un risque plus élevé de cancer de la prostate chez les hommes ayant beaucoup d’oméga-3 dans le sang, le principal auteur, le Dr Brasky, a lui-même bien pris la précaution de ne surtout pas recommander d’arrêter les oméga-3, et encore moins les poissons gras, suite à son étude : « L’un dans l’autre, les effets bénéfiques de la consommation de poisson pour prévenir les maladies cardiaques surcompensent tout danger lié au risque du cancer de la prostate », a-t-il expliqué dans la presse grand public, afin d’éviter toute confusion [19].

Ceci sans même compter les effets positifs possibles des oméga-3 sur les autres catégories de cancer.

Quant à la seconde étude citée par le Dr Khayat, la célèbre étude du Dr McLean publiée dans le Journal of the American Medical Association (JAMA) en 2005, jamais elle n’a démontré que les oméga-3 étaient dangereux.

Elle se contente d’affirmer que rien ne permet pour l’instant de conclure de façon rigoureuse que les oméga-3 diminuent significativement le risque de cancer.

Par contre, le Dr Khayat, lui, égare tragiquement son lecteur en présentant un petit tableau erroné sur les résultats de l’étude, en page 72.

Il y indique qu’une étude a montré que les oméga-3 augmentent le risque de cancer colorectal (la deuxième cause de mortalité par cancer !). Mais c’est faux : l’étude indique exactement le contraire. Elle montre une réduction du risque : « Une étude a démontré une tendance à la réduction du cancer colorectal avec l’augmentation de la consommation d’oméga-3 lorsque les données sont ajustées seulement pour l’âge. » [20]

Cette confusion permet au Dr Khayat de conclure en ironisant sur le fait qu’il y a autant d’études de cohortes significatives ayant démontré une augmentation du risque de cancer à cause des oméga-3 qu’une diminution.

S’il avait fait son tableau correctement, il aurait indiqué 6 études significatives en faveur des oméga-3, contre 4 en leur défaveur. Démenti public urgent D’un point de vue professionnel et médical, ces fautes sont si lourdes qu’elles signent probablement la fin de la brillante carrière du Pr David Khayat.

Mais il y a une urgence bien plus présente : toutes les personnes qui ont acheté par mégarde le nouveau livre du Dr David Khayat doivent être informées au plus vite des graves contrevérités qui y sont écrites.

Il s’agit d’une question urgente de santé publique, d’autant plus grave que ces contrevérités émanent d’une des plus grandes autorités sur la cancérologie en France.

A minima, le Pr David Khayat devrait profiter de toutes ses apparitions médiatiques pour rétablir la vérité auprès de ses lecteurs sur ces sujets extrêmement sérieux – c’est du moins ce qu’on peut espérer de sa part s’il a le souci du bien public.

À votre santé !

Jean-Marc Dupuis

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Sources :

[1] Khayat, D., Le vrai régime anticancer. 2010, Paris, France : Odile Jacob.

[2] http://www.guerir.org/david-servan-schreiber/billets-de-blog/david-khayat-le-vrai-regime-anticancer.htm

[3] http://www.notretemps.com/sante/david-khayat-j-ai-change-mes-habitudes-pour-prevenir-ancer,i70020

[4] Voir pages 174 et 175.

[5] http://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/codedeont.pdf

[6] http://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/codedeont.pdf

[7] http://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/codedeont.pdf

[8] http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24838848

[9] http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/24838848

[10] « One explanation offered for this finding may be a potential detection bias with men from higher socio-economic groups who have higher vitamin D levels and who are more likely to undergo prostate-specific antigen (PSA) testing, resulting in higher reported incidence rates. », à lire sur http://www.cancer.gov/cancertopics/pdq/cam/prostatesupplements/healthprofessional/page8

[11] http://www.cancer.gov/cancertopics/pdq/cam/prostatesupplements/healthprofessional/page8

[12] http://www.mdpi.com/2072-6643/6/9/3403

[13] http://www.tandfonline.com/doi/abs/10.4161/derm.20449

[14] http://www.bmj.com/content/348/bmj.g3656

[15] http://www.bmj.com/content/348/bmj.g1903

[16] http://jnci.oxfordjournals.org/content/98/7/451.abstract [17] Voir page 73.

[18] http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23843441

[19] http://www.sciencedaily.com/releases/2011/04/110425135643.htm. Sur l’impact positif des omégas-3 sur les maladies cardiaques, voire notamment l’étude de Michel de Lorgeril http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/....

[20] http://jama.jamanetwork.com/article.aspx?articleid=202260

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