Environnement Lançonnais

La ruse étonnante d’un militaire contre la malbouffe

vendredi 7 août 2015 par Alain KALT (retranscription)

Chère lectrice, cher lecteur,

« Connais ton ennemi », a dit Sun Tzu, célèbre général chinois qui vécut à la fin du VIe siècle av. J.-C.

Son manuel de stratégie militaire, « L’Art de la guerre », est toujours utilisé dans les armées modernes. Vous le trouvez même à la Fnac ou sur Amazon [1].

Sun Tzu explique que « L’art de la guerre, c’est de soumettre l’ennemi sans combat. » Cela semble bizarre mais c’est logique : l’idéal est de mettre votre ennemi dans une telle position de faiblesse qu’il n’essaiera même pas de se battre.

Sun Tzu montre comment analyser les faiblesses de l’ennemi, comment les exploiter, comment les aggraver. Il met l’accent sur la psychologie du combat et sur l’importance de la ruse et de la fuite.

En relisant Sun Tzu, j’ai pensé à la lutte contre la malbouffe.

Lutte contre la malbouffe : d’abord connaître votre ennemi

J’ai récemment expliqué l’importance de ne pas essayer de maigrir quand on est dans la « malbouffe », et qu’on consomme beaucoup de sucreries, fast-food, boissons sucrées…

La priorité, c’est d’apprendre à manger sain. Manger autant que l’on veut, mais manger sain. Retrouver son poids idéal sera une conséquence du fait de bien se nourrir. Le régime restrictif ne viendra que dans un second temps s’il est indispensable. Souvent, il ne l’est pas.

Mais ce n’est pas si simple, d’arrêter la malbouffe.

Il va falloir lutter contre les tentations. D’où l’importance de connaître votre ennemi, savoir par où vos envies de malbouffe commencent.

Un processus inconscient

L’envie de malbouffe commence par un processus inconscient : vous êtes chez vous, au travail, en voiture, dans la rue et, soudain, alors que vous pensiez à tout autre chose, vous avez envie de manger un petit pain au chocolat, d’ouvrir un paquet de chips, plonger votre main dans un sac de bonbons, ou entrer dans une échoppe acheter une pizza, un hamburger, des frites…

Bien souvent, en réalité, l’idée ne sera pas venue complètement seule.

Première possibilité : l’envie de malbouffe vous vient parce que vous avez vu ou senti de la malbouffe. Vous êtes passé devant un rayon, une vitrine, votre frigo. Vous avez trouvé un bonbon dans votre poche, une plaquette de chocolat en ouvrant un placard. Vous avez senti une odeur de boulangerie, de friture, de fromage grillé, ou entendu même des bruits de nourriture (à la radio, les publicités pour la malbouffe comprennent souvent des bruitages de grésillement, friture, pour donner faim).

Mais il y a d’autres possibilités :

L’envie de malbouffe peut se déclencher parce que vous êtes dans une situation qui, consciemment ou inconsciemment, est associée à la malbouffe dans votre esprit. Par exemple vous avez l’habitude, le soir en rentrant chez vous, de picorer des cacahuètes grillées en attendant le repas. Ou de manger des chips devant la télévision. Ou de sucer des bonbons en voiture…

Enfin, l’envie de malbouffe peut venir du simple fait de se sentir seul, triste ou fatigué. Si vous avez tendance à vous servir de la nourriture pour vous remonter le moral, alors votre cerveau s’attend à recevoir sa dose de glucose, pour le « récompenser », chaque fois que vous éprouvez de sombres sentiments.

La malbouffe devient obsessionnelle

Une fois que l’envie de malbouffe surgit dans votre cerveau, elle se transforme vite en un besoin obsessionnel.

Arrêter d’y penser devient difficile, ou impossible. Vous n’arrivez absolument plus à penser à autre chose.

Une bataille fait rage dans votre cerveau.

D’un côté, il y a votre cerveau émotionnel qui veut sa récompense tout de suite, sous forme d’afflux de dopamine généré par le plaisir de la nourriture dans votre bouche.

En face, il y a la partie rationnelle de votre cerveau. Elle vous dit que vous n’avez pas besoin de manger maintenant. Que ce serait mauvais. Que vos besoins physiologiques sont largement couverts. Et que votre corps se porterait beaucoup mieux si vous parveniez à résister à l’envie de malbouffe.

Votre volonté est donc divisée en deux parties, qui se font une guerre violente d’opposition : vous voulez vraiment le bien de votre corps, une silhouette plus fine, une meilleure santé ; et vous voulez vraiment manger cette sucrerie, ces chips, ces frites… maintenant.

La partie du cerveau qui défend l’option raisonnable est votre cortex cérébral préfrontal ; celle qui vous enjoint de tendre la main et de porter l’aliment à votre bouche tout de suite est votre cerveau primitif. Le cerveau primitif abrite le système de « récompense » qui vous procure le plus facilement du plaisir.

C’est comme si votre cerveau se battait contre lui-même. Et malheureusement, les parties primitives du cerveau sont bien plus puissantes, volumineuses, et anciennes, que votre cortex. D’entrée de jeu, elles ont un avantage énorme dans la bataille.

Un traître dans votre cerveau

Mais il y a encore pire : votre cortex, qui vous raisonne, qui vous rappelle vos bonnes résolutions, qui vous explique pourquoi mieux vaut résister à la tentation, n’est en réalité pas du tout aussi loyal qu’il en a l’air.

C’est même un redoutable traître. Sous couvert de défendre vos intérêts, votre cortex est aussi excellent à vous trouver de bonnes raisons de céder à la tentation. Il est extrêmement fort pour vous inventer des excuses, vous suggérer que ce pain au chocolat que vous lorgnez est « tout petit », que vous n’avez de toute façon pas mangé grand chose hier soir, ou que ce n’est pas grave, il vous « suffira » de sauter le déjeuner…

Et c’est là qu’il faut revenir à Sun Tzu : « Connais ton ennemi ».

Depuis les philosophes antiques (Platon, Aristote…), nous croyons que nous sommes « victimes » de nos passions, mais que notre « raison » est notre alliée pour faire les bons choix. La sagesse consisterait à nous libérer de la dictature de nos désirs, pour suivre ce que nous indique notre raison.

En réalité, les recherches modernes en psychologie et en neurologie (fonctionnement du cerveau) montrent un tableau différent [2]. Dans un nombre incroyable de cas, notre raison nous sert uniquement à nous donner de bonnes raisons de faire ce que nous avons envie de faire.

Connaître votre ennemi, c’est comprendre cela : comprendre que votre raison et vos désirs sont en fait secrètement alliés contre vous.

La tactique pour résister

La bonne tactique pour résister à l’envie de malbouffe est donc de ne jamais compter sur votre raison pour vous aider.

D’ailleurs, vous savez bien que ça ne marche pas : plus vous cherchez d’arguments pour résister à la tentation, plus la tentation devient forte.

Comme l’a dit Sun Tzu, la première chose à faire est de fuir le combat quand il est inégal et que vous partez désavantagé. Evitez au maximum de passer dans des endroits qui risquent de vous déclencher des envies de malbouffe, ou de faire entrer chez vous des paquets de bonbons, biscuits, chips.

Mais une fois que la tentation est là, Sun Tzu recommande d’agir avec ruse.

Au lieu d’essayer de vous interdire de craquer, ce qui est impossible, amusez-vous à observer les deux parties de votre cerveau qui font semblant de se battre, mais qui en fait conspirent contre vous.

L’un (votre cerveau primitif) vous dit : « Vas-y, cède ! », comme le petit diable rouge qui encourage Milou à oublier les consignes de Tintin et à s’emparer de l’os.

Ce petit diable est méchant. Mais il a au moins le mérite d’agir ouvertement. Vous voyez bien que ce Milou tout rouge vous veut du mal, avec sa queue pointue, sa fourche et ses ailes de chauve-souris.

Pendant ce temps là, il y a l’autre, le petit ange avec son auréole sur sa tête, qui vous dit : « Non, ne cède pas ». C’est votre cortex cérébral.

Mais c’est lui le véritable traître. C’est de lui qu’il faut le plus vous méfier.

Il ferme hypocritement les yeux, et fait semblant d’être de votre côté.

Mais aussitôt, il vous trahit de la façon la plus vicieuse. Observez-le ! Prenant un air mielleux, le voilà qui enchaîne : « Enfin, après tout, si tu me promets que tu ne recommenceras pas… Tu as déjà fait tant d’efforts… Tu es si méritant… La vie est si dure… Et puis, il n’y a pas de mal à se faire du bien ! À quoi bon vivre si c’est pour se priver de tous les plaisirs de la vie ? Et puis ce n’est pas grave ! Allez, vas-y, cède ! »

La prochaine fois que vous avez une envie de malbouffe, donc, faites comme si vous étiez au spectacle.

Observez le petit jeu qui se passe dans votre cerveau. Et attendez le bon moment pour démasquer le traître, lui tirer les oreilles, et le renvoyer avec un bon coup de pied au derrière !

À votre santé !

Jean-Marc Dupuis

Sources :

[1] Amazon, L’art de la guerre

[2] Voir les travaux en psychologie sociale et les études sur la morale de Jonathan Haidt, professeur à l’Université de New York.

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