En 2040, l’agriculture à bout de souffle ?
Le 30 juin 2015 par Romain Loury
Selon des chercheurs britanniques, l’effondrement du système alimentaire mondial pourrait survenir à l’horizon 2040, exacerbant un climat politique déjà explosif dans de nombreux pays du Sud. En cause, une production agricole fragilisée par le réchauffement, et qui ne satisferait plus les besoins alimentaires.
Selon le cinquième rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), « les changements climatiques vont réduire les rendements agricoles mondiaux de 2% par décennie (en moyenne) au cours du 21ème siècle, alors même que la demande mondiale va augmenter durant cette période, de 14% par décennie jusqu’en 2050 ».
Reste à savoir à quel moment le rapprochement entre offre et demande atteindra un point critique. Pour les chercheurs du Global Sustainability Institute (GSI) à l’université Anglia Ruskin de Cambridge (Royaume-Uni), peut-être dès 2040, du moins si rien ne change d’ici là.
Le scénario a de quoi effrayer, mais il n’est en rien une prévision, du fait qu’il ne tient pas compte d’éventuels changements politiques ou de comportement. Mais il émane d’un solide modèle scientifique, développé au sein du GSI et que les chercheurs se sont contentés de laisser « courir » en y intégrant les données de notre actuel système alimentaire.
Dans ce scénario « business as usual », le pire survient vers 2040, explique Aled Jones, directeur du GSI, à la revue Insurge Intelligence. C’est à cet horizon que la demande alimentaire, en hausse du fait de l’augmentation de la population, excèdera la production, amoindrie par les changements climatiques. Devrait alors s’ensuivre, selon le chercheur, « une épidémie sans précédent d’émeutes de la faim », qui pourrait entraîner l’« effondrement » de la société mondiale.
Un système de plus en plus vulnérable
Dos au mur, notre système de production alimentaire s’avère de plus en plus fragile face aux événements inattendus. C’est un rapport de l’assureur britannique Lloyd’s, publié mi-juin, qui l’affirme : le système « est sous pression chronique pour satisfaire une demande toujours croissante, et sa vulnérabilité aux imprévus est accrue par des facteurs tels que le changement climatique, la pénurie d’eau, la mondialisation et la montée de l’instabilité politique ».
Sur la base du modèle développé par le GSI, Lloyd’s estime qu’il suffirait de trois imprévus environnementaux, en l’occurrence une résurgence d’El Niño, une épidémie de rouille du soja en Amérique latine et une autre de rouille du blé dans le Caucase, pour faire chuter l’ensemble de la production mondiale, de 7% à 11% pour le maïs, le soja, le riz et le blé. Résultat, leur prix pourrait quadrupler par rapport à leur valeur de l’an 2000, engendrant d’importants troubles sociaux et politiques.
Selon des estimations de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), il faudrait produire 70% de plus d’ici à 2050 pour nourrir les 9,1 milliards de personnes qui devraient peupler la Terre à cet horizon. Dans les pays en développement, la production devrait même doubler d’ici là.
Les pays du Sud en plein chaos
Or c’est justement dans les pays du Sud que les effets du réchauffement seront les plus marqués. Auteur d’un ouvrage publié mi-juin par la FAO, Aziz Elbehri, économiste de la division du commerce et des marchés de l’organisation onusienne, estime que « le changement climatique devrait exacerber les inégalités croissantes au niveau mondial, car il aura des retombées négatives plus graves sur les pays les moins avancés et les plus vulnérables ».
Pour Lloyd’s, les effets de telles pénuries ne devraient pas se faire attendre. Outre des émeutes de la faim au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Amérique latine, les tensions pourraient s’aggraver dans les actuels points chauds de la planète : offensive de Boko Haram au Nigeria, violences s’étendant au Cameroun, flambée d’intégrisme islamiste en Egypte, en Tunisie et au Yémen, reprise des hostilités entre l’Inde et le Pakistan, appétit accru de la Russie pour ses anciens satellites.
Alain KALT (retranscription)
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