Cancer : le glyphosate blanchi par l’Efsa
Le 12 novembre 2015 par Romain Loury
Le glyphosate ne pose a priori pas de risque cancérogène, estime l’autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) dans un avis publié jeudi 12 novembre. Contredisant le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), l’Efsa profite même de l’occasion pour relever discrètement la dose journalière admissible (DJA) du produit.
Herbicide le plus vendu au monde, en particulier sous le nom de RoundUp, le glyphosate était déjà lourdement suspecté d’être un perturbateur endocrinien. En mars, le Circ, branche cancer de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’a reclassifié dans son groupe « cancérogène probable » (groupe 2A), s’appuyant sur des études chez l’animal et des études épidémiologiques évoquant un risque de lymphome non hodgkinien chez l’homme.
Voilà qui chamboulait la réévaluation décennale du produit au niveau européen, confiée à l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques (BfR) -l’Allemagne est pays rapporteur (avec la Slovaquie) du dossier glyphosate. Alors que le processus, préambule à une réautorisation de 10 ans, était bien avancé, la Commission européenne a demandé en avril à l’Efsa de se pencher sur l’avis du Circ. Or celui-ci venait largement contredire les premières conclusions de l’Efsa, pour le moins optimistes.
Cancérogène « probable » ou « improbable », c’est selon
L’autorité a rendu sa copie jeudi, y affirmant qu’« il est improbable que le glyphosate présente un danger cancérogène pour l’homme ». Certes, son approche diffère de celle utilisée par le Circ, qui a aussi bien évalué le glyphosate que ses diverses formulations commerciales, alors que l’Efsa dit ne se pencher que sur le principe actif –l’évaluation des produits commerciaux, les pesticides, restant aux mains des Etats membres.
Mais là n’est pas la seule différence : l’Efsa juge les études de manière très différente du Circ, qu’il s’agisse de celles menées chez l’animal ou de celles, épidémiologiques, chez l’homme. Si le Circ faisait déjà montre de prudence dans sa monographie sur le glyphosate, évoquant les « preuves limitées » de sa cancérogénicité, l’Efsa démonte ces travaux les uns après les autres, n’y voyant au final aucun élément d’inquiétude.
Autre raison de la divergence, l’Efsa a laissé de côté certaines études prises en compte par le Circ, mettant en cause leur validité scientifique. A l’inverse, elle a tenu compte des travaux menés par l’industrie, dont les résultats, très souvent mis en doute, demeurent frappés du secret industriel.
Très diplomate, le Circ, qui rappelle au JDLE ne s’appuyer que sur des études « dans le domaine public, publiées dans des revues à comité de lecture », indique que l’avis de l’Efsa « ne change rien à notre classification, qui demeure la classification officielle de l’OMS sur le glyphosate ».
Les conclusions de l’Efsa étaient très attendues des associations, qui ont suivi de près les travaux du BfR. A l’approche de cette publication, Pesticide Action Network Europe (PAN Europe) a publié un courrier adressé fin octobre au commissaire européen à la santé, Vytenis Andriukaitis, dans lequel elle évoque « un certain nombre de failles importantes », dont le choix des études retenues ou écartées, et dans l’appréciation des premières.
Dans un communiqué de réaction, François Veillerette, porte-parole de Générations Futures, déclare que « cette négation du risque cancérigène par l’Efsa, alors que l’OMS a reconnu que le glyphosate est probablement cancérigène pour l’homme, est scandaleuse (…) Des millions de personnes vont donc continuer à être exposées au glyphosate, probablement cancérigène, nous appelons donc la commission européenne à réagir et à ne pas cautionner cette mascarade », ajoute-t-il.
La DJA relevée, c’est bonus
Alors que l’Efsa emploie beaucoup d’énergie à expliciter ses divergences avec le Circ, un autre élément pourrait bien passer inaperçu. Peut-être afin de faire passer la pilule, l’autorité se vante de « proposer une nouvelle mesure de sécurité qui permettra de renforcer le contrôle des résidus de glyphosate dans l’alimentation ».
En l’occurrence, il s’agit d’une dose aigüe de référence (DARf), fixée à 0,5 mg/kg de poids corporel, le glyphosate étant à ce jour dépourvu d’une telle mesure. Pour Jose Tarazona, chef de l’unité Pesticides à l’Efsa, « en introduisant une dose aiguë de référence, nous renforçons encore la façon dont les risques potentiels associés au glyphosate seront évalués dans le futur ».
« En ligne » avec cette DARf, l’Efsa ajoute avoir fixé une dose journalière admissible (DJA) de 0,5 mg/kg de poids corporel pour le glyphosate. Subtilité du calcul toxicologique, la DJA et la DARf obtenues sont identiques, du fait qu’elles sont dérivées des mêmes études, mais bien que ces notions fassent appel à des expositions différentes (voir 1* en bas de page).
La DARf est la « quantité estimée d’une substance chimique présente dans les aliments, exprimée sur la base du poids corporel, qui peut être ingérée sur une courte période de temps, généralement au cours d’un repas ou d’une journée, sans présenter de risque pour la santé », rappelle l’Efsa. Pour la DJA, c’est la même chose, sauf qu’il ne s’agit pas d’une exposition sur une courte période de temps (aigüe), mais de manière quotidienne (chronique).
Ce que ne dit pas le communiqué, mais qu’une lecture un peu plus attentive de l’avis nous rappelle, c’est que la DJA du glyphosate était jusqu’alors de 0,3 mg/kg de poids corporel : elle sera donc relevée, après évaluation de nouvelles études menées chez le lapin.
Or l’Efsa se basera sur ces nouvelles valeurs toxicologiques « lorsqu’elle réexaminera les limites maximales de résidus dans les aliments pour le glyphosate, révision qui sera menée en coopération avec les États membres en 2016 », ajoute-t-elle. Voilà qui rassurera le consommateur : non seulement le glyphosate n’est ni cancérigène, ni perturbateur endocrinien, mais il est possible d’en ingérer plus qu’on ne le pensait.
L’affaire n’est pas sans rappeler le bisphénol A, dont l’Efsa a considéré, en janvier, qu’il ne posait pas de risque pour la santé humaine aux doses d’exposition de la population. A l’inverse de ce qu’elle vient de faire avec le glyphosate, elle avait tout de même eu la prudence d’abaisser sa DJA, de manière un peu plus affichée.
Le glyphosate en mauvaise posture
Depuis la publication de l’avis du Circ, le glyphosate rencontre des difficultés croissantes dans plusieurs pays, au-delà de l’Europe où plusieurs associations demandent son interdiction. Suspecté de causer des épidémies d’insuffisance rénale chez les agriculteurs de pays en développement (Amérique du Sud, Inde, Sri Lanka), il a été interdit d’usage et d’importation par ce dernier pays en mai -une première mondiale-, et les Etats-Unis commencent à voir fleurir les plaintes en justice par des agriculteurs touchés par des cancers.
Suite à l’avis du Circ, la ministre de l’écologie Ségolène Royal avait annoncé en juin vouloir interdire la vente en libre-service dans les jardineries du RoundUp à partir de janvier 2016, soit deux ans avant l’échéance fixée par le plan Ecophyto2 pour l’ensemble des pesticides. L’interdiction totale de vente aux particuliers, prévue par la loi Labbé, est fixée à 2022.
1* La DARf est la « quantité estimée d’une substance chimique présente dans les aliments, exprimée sur la base du poids corporel, qui peut être ingérée sur une courte période de temps, généralement au cours d’un repas ou d’une journée, sans présenter de risque pour la santé », rappelle l’Efsa. Pour la DJA, c’est la même chose, sauf qu’il ne s’agit pas d’une exposition sur une courte période de temps (aigüe), mais de manière quotidienne (chronique).
Alain KALT (retranscription)
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