Environnement Lançonnais

Les abeilles sont aussi victimes des faibles doses…

mardi 24 avril 2012 par Alain KALT (retranscription)

Le 29 mars 2012 par Geneviève De Lacour L’abeille étudiée est équipée d’une puce Rfid

Deux études, l’une britannique, l’autre française, publiées toutes deux dans la revue Science aujourd’hui jeudi 29 mars montrent comment une famille d’insecticides, les néonicotinoïdes, nuit gravement non seulement aux abeilles mais aussi aux bourdons. L’exposition à des doses considérées comme non mortelles par les autorités augmente pourtant la mortalité des insectes pollinisateurs.

Imaginez un sac à dos pesant le tiers de votre poids. C’est la charge que des chercheurs de l’Inra d’Avignon font porter à des abeilles. Le but ? Comprendre les mouvements des abeilles exposés à un pesticide mais surtout détecter celles qui ne rentreront pas à la ruche, car certains produits phytosanitaires sont accusés de perturber le système nerveux central de ces insectes, de les déboussoler. Des abeilles esseulées et donc vouées à une mort certaine.

Jusqu’à présent, les scientifiques butaient contre une lacune méthodologique pour identifier les individus et les suivre à la trace. Mickaël Henry, de l’Institut national de recherches agronomiques (Inra) à Avignon, et Axel Decourtye, de l’Acta (une association d’instituts techniques agricoles), ont donc eu l’idée de coller une puce à radio-identification (Rfid) de 3 milligrammes sur le thorax de 650 abeilles. Avec ces puces Rfid, les chercheurs français peuvent enfin répondre à la question qu’ils se posent depuis longtemps : les butineuses exposées aux pesticides reviennent-elles ou non à la ruche ? Une manière d’étudier, non pas l’effet létal des insecticides, mais la mort indirecte par délocalisation : le non-retour à la ruche.

Une fois la puce à radiofréquences installée, ils ont exposé certaines de ces abeilles au detiamethoxam (appartenant à la famille des néonicotinoïdes) et cela à une dose 5 fois inférieure aux doses considérées comme mortelles. Cette substance active est utilisée pour l’enrobage des semences, c’est celle du Cruiser de Syngenta, autorisé en France depuis 2009, en dépit des demandes réitérées d’interdiction des apiculteurs.

Ainsi, comparées aux abeilles-contrôles, et donc non exposées aux pesticides, les abeilles traitées ont deux à trois fois plus de risques de mourir à l’extérieur de leur ruche. Pour les chercheurs de l’Inra, le résultat est clair : les pesticides interfèrent avec le système de localisation de la ruche des abeilles.

Mais à quoi servent exactement les néonicotinoïdes ? Ce sont en fait des insecticides qui appartiennent à la famille des insecticides dits systémiques. Au lieu d’être pulvérisés sur la terre ou sur les plantes, ils sont mélangés dans une pâte qui entoure la graine. En germant, la plante absorbe le poison par l’intermédiaire de la sève. Mis au point dans les années 1990, les néonicotinoïdes sont largement utilisés dans le monde entier. Ils sont aussi accusés par les apiculteurs d’être une des principales causes des hécatombes d’abeilles constatées depuis quelques années. Les néonicotinoïdes sont notamment présents dans les semences enrobées de maïs dont deux hybrides de la firme Pionner, le Poncho et le Gaucho de Bayer, le Regent de Basf et le Cruiser de Syngenta.

La seconde étude présentée aujourd’hui a été menée par Penelope Whitehorn et ses collègues de l’université de Stirling (Royaume-Uni). Les scientifiques britanniques ont exposé des colonies de bourdons (Bombus terrestris) à de faibles doses d’un néonicotinoïde appelé imidaclopride, des doses comparables à celles mesurées dans l’environnement.

Les chercheurs ont ensuite placé les colonies dans un terrain clos où les bourdons se sont alimentés pendant 6 semaines dans des conditions naturelles. Puis ils ont pesé les animaux, la cire, le miel, les larves et le pollen avant de peser à nouveau le nid de bourdons pour connaître le poids pris par la colonie.

Au final, les colonies exposées à l’imidaclopride ont pris moins de poids comparées aux colonies-contrôles (en fait elles sont 8 à 12% plus petites). Mais surtout elles ont produit 85% de reines en moins, ce qui signifie 85% de nids en moins l’année suivante, car la production de reines est en lien direct avec l’établissement de nouveaux nids après le dépérissement hivernal.

« Même si nous pensions que le résultat irait dans ce sens, nous avons été très surpris par la forte réduction de production de reines constatée lors de notre expérience », explique Penelope Whithorn.

Ces deux études posent clairement la question des doses létales et des procédures d’autorisation des produits sur le marché. Car des doses non létales, c’est-à-dire de faibles doses, peuvent avoir des conséquences tout aussi catastrophiques sur les insectes, provoquant des troubles du comportement qui aboutissent au même résultat, la mort, mais de manière indirecte.

« Jusqu’à présent, les procédures d’autorisation demandaient surtout aux fabricants de s’assurer que les doses rencontrées sur le terrain ne tuaient pas les abeilles, mais elles ont complètement négligé les conséquences des doses non létales », commente Mickaël Henry.

« Les bourdons colonisent beaucoup de cultures et de fleurs sauvages. L’utilisation de néonicotinoïdes dans les cultures est clairement une menace pour leur santé et doit être revue de toute urgence », précise Dave Goulson, de l’université de Stirling.

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