Environnement Lançonnais

Les doigts dans l’emprise numérique.

dimanche 24 mars 2013 par Alain KALT (retranscription)

(* Paru dans le Canard Enchainé du 30 janvier 2013)

Aleeeerte ! Nous sommes en retard ! Une fois de plus, la grande compétition mondiale se joue sans nous.

"On en est encore à débattre de l’utilité de monter dans le train pendant que d’autres construisent des lignes de chemins de fer", s’affole, dans "Le Monde" du 24 janvier, François Taddéi, directeur de l’Institut innovant de formation par la recherche.

La grande numérisation de l’école et de l’université a démarré, et c’est affreux : nous sommes dans les choux. Pourtant le ministre Peillon vient de dégainer son plan pour faire entrer l’école dans l’ère du numérique. Pourtant l’Académie des sciences vient de pondre un gros rapport (en ligne) sur l’enfant et les écrans, où elle nous explique qu’il est bon d’initier les moins de 2 ans, car les tablettes visuelles et tactiles contribuent à l’éveil cognitif précoce du bébé.

Cette même académie l’affirme, alors que la lecture "construit une intelligence lente et linéaire", le numérique "permet le développement d’une intelligence rapide et multitâche". Pourtant le psychologue Olivier Houdé affirme que, grâce à ce numérique omniprésent dès la maternelle "nos enfants deviendront de vrais merveilles !" (La Croix du 23 janvier).

Jusqu’ici ils étaient lents et ternes. Jusqu’ici l’humanité n’était pas "rapide et multitâche". Einstein était un attardé dépourvu de Smartphone et Aristote ne savait même pas activer son cartable électronique. Heureusement, l’école de management de Normandie vient de lancer le concept de SmartEcole, c’est à dire "école intelligente", enfin.

Et l’Université européenne de Bretagne vient de recruter 4 ingénieurs pédagogiques pour expliquer aux profs comment faire de l’enseignement. Cout pour 3 "salles immersives " d’une quinzaine de places chacune : 200 000 Euros.

Cédric Biagini ne marche pas dans la combine. Dans un chapitre de son très éclairant livre sur "L’emprise numérique"(1), il montre comment cette invasion est l’aboutissement de 20 années de lobbying intensif, auprès des Etats, et de la Commission européenne, par les entreprises liées aux nouvelles technologies.

Pour elles, l’éducation constitue un formidable gisement de profits. Surfant sur "l’inquiétude grandissante de parents désireux d’armer leur progéniture pour la compétition mondiale", elles nous préparent "un enseignement sans enseignants". Les amphis sont surchargés ? Les profs coutent chers ? Bientôt on en fera de simples animateurs numériques, chargés de surveiller les élèves qui suivront les cours en ligne sur leurs écrans. L’école ne cherchera plus à transmettre des savoirs, mais à "former une main d’ ?uvre adaptée à la nouvelle économie et aux modes de production dématérialisés". Mais ca ne sera forcément la joie. Biagini rappelle ce mot d’un ponte de Sun Microsystems : "Nous engageons nos employés par ordinateur, ils travaillent sur ordinateurs et ils sont virés par ordinateurs".

Bienvenue à bord !

(1) L’emprise numérique : comment Internet et les nouvelles technologies ont colonisées nos vies. (L’Echappée, 448 pages, 14 Euros.)


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