Environnement Lançonnais

Quand le ministère de l’agriculture protège des pesticides dangereux

jeudi 9 mai 2013 par Alain KALT (retranscription)

Le 23 avril 2013 par Marine Jobert

Le ministère de l’agriculture directement mis en cause par l’Anses.

C’est une lettre qui n’était pas destinée à être rendue publique. Marc Mortureux, le directeur de l’Anses, y tance Patrick Dehaumont, son homologue de la DGAL. En cause : l’inaction de la direction générale de l’alimentation -sous tutelle du ministère de l’agriculture- face aux avis scientifiques défavorables rendus par l’agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail au sujet de plusieurs dizaines de produits pesticides employés aussi bien par les agriculteurs que les particuliers. L’association Générations Futures va porter plainte contre X pour mise en danger de la vie d’autrui. C’est la transparence des autorisations de mise sur le marché des pesticides, accordées par le ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, qui est directement au cœur de cette affaire. Explications.

Quand il écrit à Patrick Dehaumont en août 2012, Marc Mortureux n’en est pas à sa première alerte. Il a déjà signalé, 3 ans plus tôt, au directeur de la direction générale de l’alimentation que ses services n’avaient pas pris acte des avis scientifiques rendus par l’agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail. « Par courrier du 7 octobre 2009, j’avais attiré l’attention de votre Direction sur les problèmes posés par le fait que les avis de l’Agence relatifs aux dossiers de produits phytopharmaceutiques ou de matières fertilisantes ou supports de culture n’étaient pas tous suivis d’une décision par le Ministère chargé de l’agriculture dans les délais prévus par la réglementation, ainsi que sur le maintien sur le marché des produits pour lesquels l’Agence avait émis un avis défavorable ou un avis favorable avec restrictions », écrit le directeur de l’Anses.

C’est que le code rural (par transposition de la directive-cadre du 15 juillet 1991 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, puis en vertu du règlement communautaire du 21 octobre 2009) précise que si c’est bien le ministère qui est compétent pour délivrer les autorisations de mise sur le marché (AMM), « ces décisions sont délivrées après avis de [l’Anses] (…) Ces décisions peuvent être retirées ou modifiées (…), le cas échéant après avis de l’Agence sur les risques et les bénéfices pour la santé publique et l’environnement que présente le produit, notamment en cas de constatations de non-conformité, laissant supposer que tout ou partie des produits phytopharmaceutiques mis sur le marché ne remplissent pas les conditions fixées dans l’autorisation de mise sur le marché ou sont susceptibles de présenter un risque pour la santé publique ou l’environnement. » Les avis de l’Anses sont certes consultatifs, mais « l’agence se fonde sur des critères scientifiques, issus sur la réglementation européenne, pas sur sa bonne ou mauvaise humeur du jour », s’étonne François Veillerette, le porte-parole de l’association Générations futures, spécialisée dans la question des pesticides.

Or ces avis scientifiques sont foulés au pied par la DGAL, et ce pour une quarantaine d’AMM. Car la DGAL a maintenu « sur le marché sans modification des conditions d’emploi [des] préparations ayant fait l’objet d’un avis défavorable général ou partiel à l’occasion du réexamen communautaire », pointe l’Anses. Une attitude « qui ne peut qu’encourager les détenteurs des autorisations à déposer des dossiers incomplets, leur permettant de présenter les éléments manquants dans le cadre d’un recours », déplore Marc Mortureux. A tout le moins, conseille le directeur de l’Anses, « si un retrait du marché ne vous paraît pas envisageable dans un premier temps, une mise à jour des conditions d’emploi, sur la base de notre avis, permettrait de limiter les risques. »

Ainsi de l’Herbivil, commercialisé par la Société Oxadis. Nocif par inhalation et irritant pour les yeux, peut-on lire dans les phrases de risques. Et un risque toxicologique qualifié de « nocif ». En 2009, l’Afssa (ancêtre de l’Anses) estime « du fait que les données disponibles ne permettent pas de s’assurer de la sécurité de l’utilisateur en jardin d’amateur », qu’un avis défavorable doit être émis à l’AMM de cette préparation. « Malgré cet avis alarmant, le produit est toujours sur le marché », pointe Générations futures. Ainsi de 6 autres produits –dont certains sont vendus aux particuliers- dont les réserves de l’Anses n’ont pas empêché la délivrance de l’AMM.

Autre élément à charge : les AMM des produits de référence qui ont fait l’objet d’un réexamen selon les nouveaux critères du règlement communautaire ou pour être autorisés dans les jardins, ont été mises à jour de façon incomplète. Pour certains produits, « aucune demande de renouvellement n’a été déposée ». Pour autant, « [ils] ne sont pas retirés du marché. Au-delà du problème de sécurité induit, ces produits peuvent servir de base pour des demandes d’autorisation de produits génériques ou de commerce parallèle ». Une soixantaine d’AMM sont concernées.

Autant d’éléments qui amènent l’association Générations futures à porter plainte contre X pour mise en danger de la vie d’autrui. « Les fabricants des produits phytosanitaires et les représentants de l’Etat chargés des autorisations de mise sur le marché desdits produits sont nécessairement informés des menaces qui pèsent sur la santé des agriculteurs et des particuliers et des risques d’intoxication qui ont pourtant été insuffisamment pris en compte », écrit dans sa plainte Me François Lafforgue , avocat de Générations futures. « La permanence [de leurs] manquements caractérise leur volonté répétée de se soustraire délibérément aux obligations leur incombant (…) L’administration n’a pas assuré sa fonction de police phytosanitaire. » « Quand le ministère de l’agriculture ne suit pas les avis de l’Anses, il prend la responsabilité de tolérer que soient maintenus sur le marché des produits qui ne respectent pas les critères communautaires », renchérit François Veillerette, qui rappelle que la DGAL n’en est pas à sa première mise en cause.

L’affaire du Régent et du Gaucho a donné lieu à des passes d’armes fameuses entre l’ancienne directrice de l’organisme public –et aujourd’hui directrice exécutif de l’Agence européenne de sécurité alimentaire (Efsa)- et le juge d’instruction Ripoll, qui exigeait la communication du dossier d’autorisation de mise sur le marché (AMM) du Gaucho dans le cadre d’une plainte d’un syndicat d’apiculteurs. Dans un livre paru en 2007 -« Pesticides, révélations sur un scandale français »- François Veillerette et le journaliste Fabrice Nicolino estimaient que « la gestion du dossier [Régent/Gaucho] a amplement démontré que l’administration française soutenait les intérêts industriels contre ceux de la santé publique. » Une position qu’assume toujours le porte-parole de Générations futures : « le niveau de neutralité de la DGAL face aux industriels est proche de zéro », déclare t-il au Journal de l’environnement.

Générations futures exige la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire sur le sujet des AMM et demande que dorénavant, les ministères de l’écologie et de la santé soient associés à leur délivrance aux côtés du ministère de l’agriculture. De nombreux parlementaires –notamment ceux qui avaient participé au rapport d’information sur les pesticides, emmené par Nicole Bonnefoy l’an passé- ont été destinataires de cette alerte lancée par Générations futures.

Le ministère de l’agriculture a réagi par un communiqué : il demande à la DGAL « de répondre point par point à toutes les questions posées par Générations futures, et de rendre ces informations publiques au début de la semaine prochaine, car dans ce dossier comme sur tous les sujets sanitaires, la transparence est de mise. » Le ministère note que « cette situation a par ailleurs révélé des retards de mise à jour de la base de données publique sur les AMM. Le ministre [de l’agriculture] demande, en conséquence, un audit pour identifier les blocages et proposer des solutions garantissant une plus grande réactivité dans la mise à jour de cette base de données, et toute la clarté dans les décisions qui sont prises. »

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