Environnement Lançonnais

Un seul insecte nous manque et tout est moins pollinisé

mardi 30 juillet 2013 par Alain KALT (retranscription)

Le 24 juillet 2013 par Marine Jobert

Les pollinisateurs vont mal. On pensait qu’un insecte en valait bien un autre pour transporter le pollen et permettre la fécondation, à l’image des petites mains qui pollinisent au pinceau les arbres fruitiers de Chine et d’Amérique. Il n’en est rien, nous apprend une étude américaine. La biodiversité et l’agriculture seraient-elles encore plus menacées qu’on ne le croyait ?

Jusqu’à présent, il était entendu que les plantes étaient résilientes en dépit de l’effondrement des pollinisateurs (causé par quelques maladies et un certain nombre de pesticides, notamment de la classe des néonicotinoïdes). En clair, un pollinisateur de perdu, dix pour le remplacer et féconder de pollen le pistil offert ! Une vision des choses basée sur des modélisations informatiques, qui donnaient à penser que l’efficacité de la pollinisation n’était pas affectée par les bouleversements dans les interactions entre les différents insectes. Deux écologues américains se sont livrés à des travaux pratiques (dont les résultats sont publiés dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences -Pnas) qui viennent mettre à mal cet axiome.

Dans 20 aires de la taille d’un terrain de tennis, situées sur les contreforts des Rocky Mountains du Colorado, Berry Brosi (de l’Emory University d’Atlanta, en Géorgie) et Heather Briggs (de l’Université de Californie, à Santa Cruz) ont d’abord recensé l’ensemble des pollinisateurs présents. Ils ont ensuite identifié les espèces de bourdons les plus abondantes. La partie la plus délicate de l’expérience a consisté à éliminer l’espèce dominante, à l’aide de filets et de volontaires (les mâles sont dépourvus de dard) sur une partie des terrains. Aucun insecte n’a été tué pendant l’expérience, précisent les écologues. Le butinage de 736 bourdons a alors été suivi à la trace. « Nous les avons littéralement suivis pendant qu’ils butinaient », explique Heather Briggs. « C’est un vrai défi car les bourdons volent vraiment vite. »

- Première découverte : les insectes deviennent moins sélectifs quand leur principal compétiteur n’est plus dans le circuit. 78% des bourdons dans le groupe témoin sont restés fidèles à une seule espèce de fleurs, contre 66% des insectes placés dans la partie vidée des bourdons dominants. La plus grande diversité des pollens retrouvés accrochés à leurs pattes en témoigne : le nombre d’insectes transportant le pollen de plus de deux plantes avait augmenté de 17,5% dans le second groupe. « La plupart des pollinisateurs butinent plusieurs espèces de plantes tout au long de leur vie, mais souvent ils vont faire preuve de ce que nous appelons une fidélité florale sur de courtes périodes de temps », explique Berry Brosi. « Ils auront tendance à se concentrer sur une seule plante en pleine floraison, avant d’aller en butiner d’autres quelques semaines plus tard qui se seront à leur tour ouvertes. Il faut les considérer comme des monogames en série. »

- Deuxième découverte (qui découle de la première) : en étant moins sélectifs dans leur butinage, les insectes pollinisent moins efficacement des plantes qui ont un besoin vital d’être fécondées par un pollen spécifique. Ce sont ces « infidélités » qui mettent en danger les végétaux. Les deux chercheurs ont observé cette tendance sur une plante typique de cette zone semi alpine du Colorado : le Delphinium Barbeyi, une renoncule inféodée aux latitudes nord-américaines. Après le retrait du pollinisateur dominant, la production de graines de ces plantes a chuté d’un tiers en moyenne. « Cette légère modification au plan de la compétition inter-espèces rend les insectes restants plus susceptibles de ’tromper‘ la plante Delphinium Barbeyi », résume Heather Briggs.

« C’est alarmant, car cela suggère que le déclin global des pollinisateurs pourrait avoir un impact plus important sur la floraison des plantes et les cultures vivrières que ce qu’on pouvait penser jusqu’ici », explique Berry Brosi. « Cette étude démontre que la perte d’une seule espèce d’abeille peut mettre en danger la pollinisation et la reproduction des plantes à fleur », détaille Alan Tessier, le directeur du programme à la division de biologie environnementale à la National Science Fondation, qui a financé une partie de l’étude. « La mise en lumière des mécanismes est impressionnante : la perte d’une seule espèce change le comportement de butinage de toutes les autres espèces. »

Cette étude inédite permet de prendre la mesure d’un constat dressé par l’agence européenne de l’environnement (AEE) : en 20 ans, la moitié des papillons des prairies ont disparu en Europe. La faute aux pratiques agricoles, mais aussi à la fermeture par des broussailles et des arbres, à cause… de l’abandon des terres par l’agriculture. Une tendance observée depuis une dizaine d’années dans les prairies de moyenne montagne, essentiellement dans le sud et l’ouest de l’Europe. Cette étude de l’AEE porte sur l’évolution de 17 espèces de papillons des prairies entre 1990 et 2011 (7 communs, 10 plus spécifiques). Résultats : 8 ont décliné -comme l’argus bleu (Polyommatus icarus)-, deux sont restées stables -comme l’aurore- et une a augmenté. Pour 8 espèces -comme l’hespérie du chiendent (Thymelicus acteon)- la tendance est « incertaine ».

« Ce dramatique déclin des papillons de prairies devraient donner l’alerte. Les habitats de ces espèces diminuent. Si nous ne parvenons pas à maintenir ces habitats, nous pourrions perdre une partie de ces espèces pour toujours. Nous devons reconnaître l’importance de ces papillons et des insectes ; la pollinisation qu’ils effectuent est essentielle pour les écosystèmes et l’agriculture », estime Hans Bruyninckx, le directeur exécutif de l’AEE.

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