Environnement Lançonnais

Quand les phtalates minent le cerveau

lundi 5 janvier 2015 par Alain KALT (retranscription)

Le 11 décembre 2014 par Romain Loury

Les phtalates abêtissent-ils nos enfants ?

Après une étude montrant un effet sur le quotient intellectuel (QI) chez des enfants de 3 ans, de nouveaux travaux publiés mercredi 10 décembre dans la revue PLoS ONE confirment le phénomène à 7 ans, en cas d’exposition élevée au cours de la grossesse.

Plastifiants omniprésents, les phtalates comptent dans leurs rangs de nombreux perturbateurs endocriniens. En ce sens, ils pourraient altérer le développement cérébral des enfants, comme cela a, entre autres, déjà été montré pour certains pesticides et pour le bisphénol A.

En 2012, l’équipe de Robert Whyatt, de l’université Columbia à New York, avait mis en évidence un moindre QI chez les enfants exposés in utero aux phtalates, mais à l’âge de 3 ans. Le phénomène se confirme-t-il chez des enfants plus âgés ? Il semble bien que oui, selon une nouvelle étude publiée par les mêmes chercheurs.

L’équipe a suivi 328 couples mère-enfant, testant chez ces derniers le QI à l’âge de 7 ans, et le comparant aux taux urinaires de plusieurs phtalates, mesurés chez la mère lors du dernier trimestre de grossesse. Les résultats sont sans appel.

Jusqu’à 7,6 points de QI en moins

Comparées aux 25% de femmes les moins imprégnées de MnBP (un métabolite du DnBP, di-n-butyl phtalate), les 25% en présentant le plus avaient des enfants dont le QI était inférieur en moyenne de 6,6 points. Et pour le MiBP (métabolite du DiBP, di-isobutyl phtalate), la différence s’élevait à 7,6 points de QI.

Selon les chercheurs, plusieurs mécanismes, non exclusifs, expliqueraient un éventuel lien de causalité : « les phtalates pourraient agir comme anti-androgènes et altérer la différenciation sexuelle du cerveau ; ils pourraient moduler l’activité de l’enzyme aromatase dans le cerveau en développement et perturber ainsi la synthèse d’œstrogènes ; ils pourraient affecter la production d’hormones thyroïdiennes ; ils pourraient diminuer l’activité dopaminergique, lié à aux troubles de déficit de l’attention et de l’hyperactivité (TDAH) ».

Pour les deux premières hypothèses, l’équipe note en effet des différences sexuelles dans le lien entre phtalates et QI, avec des effets variables selon l’agent considéré, mais atteignant rarement la significativité statistique.

De nouveaux arguments pour l’interdiction

Bien qu’inquiétants en termes de santé publique, ces résultats n’ont au fond rien d’étonnant, au vu de la masse d’études révélant l’effet délétère de plusieurs polluants chimiques sur le cerveau en formation. Ils pourraient toutefois donner du grain à moudre aux nombreux opposants des perturbateurs endocriniens, qui appellent à leur interdiction au niveau européen.

Dernier épisode en date, la coalition EDC-Free Europe, coordonnée par HEAL et regroupant plusieurs associations françaises (Générations futures, Réseau environnement santé, WECF, etc.), a appelé début décembre les citoyens à répondre à la consultation publique lancée en septembre par la Commission européenne sur les perturbateurs endocriniens, qui s’achèvera le 16 janvier 2015.

Objectif de cette campagne, « dire non aux perturbateurs endocriniens ». La consultation européenne porte sur l’adoption de critères de définition de ces substances, que l’industrie souhaite très souples, alors que les associations espèrent qu’ils permettront leur interdiction définitive. Initialement prévue pour décembre 2013, l’adoption des critères a pris un retard plus que suspect, que nombreux imputent au lobbying des industriels.

Un coût sanitaire de 31 milliards/an

Ceux-ci ont d’ailleurs réussi à imposer à la Commission l’idée d’une étude d’impact économique d’un retrait des perturbateurs endocriniens, perçue par les associations comme un grossier contre-feu contre toute tentative de régulation.

La manœuvre pourrait toutefois se retourner contre l’expéditeur. Deux récentes études révèlent les coûts de santé exorbitants des perturbateurs endocriniens. Selon la plus récente, menée dans les pays scandinaves, le seul effet des perturbateurs endocriniens sur les troubles masculines de l’appareil reproductif s’élèveraient pour l’UE jusqu’à 1,2 milliard d’euros par année d’exposition.

Publiée en juin, celle menée pour le compte de HEAL estime que le coût pour l’ensemble des maladies liées aux perturbateurs endocriniens s’élève à 31 milliards d’euros par an. Or les chercheurs n’avaient tenu compte, au niveau du cerveau, que des TDAH et de l’autisme. Et non d’une baisse généralisée du QI, dont le coût, en matière de retard scolaire et d’avenir professionnel, serait loin d’être négligeable.

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