Tout ça pour une tomate
Chère lectrice, cher lecteur,
Regardez cette belle tomate rouge sang :
C’est une de ces tomates à 1€ le kilo.
Il a fallu :
• la planter, l’arroser, la surveiller, la repiquer, lui mettre un tuteur, la cueillir délicatement afin de ne pas l’abimer ;
• le conditionner, le stocker, le transporter sur des milliers de kilomètres en prenant soin de ne pas l’abîmer ;
• la distribuer, la mettre sur un étalage, payer les employés du magasin et la caissière…
Il a fallu faire tout cela avant qu’elle n’arrive dans votre panier… Et encore, au mois de février. Tout ça pour quelques centimes : cela tient de la magie.
Si vous avez déjà fait pousser des tomates vous devez vous demander comme moi qui sont les sorciers qui opèrent ce prodige. Ces magiciens, pas plus que les autres, ne révèlent leur tours et vous allez comprendre pourquoi.
Pour cette tomate que vous mettez dans votre cabas négligemment on réduit en esclavage des populations, on assèche des pays entiers, on engraisse les mafias, on asphyxie les agricultures des voisins plus scrupuleux, on empoisonne les populations aux pesticides…
Tout cela pour quelque chose qui ressemble autant au fruit dont il porte le nom que son modèle de plastique avec laquelle ma petite nièce joue à la marchande. Je ne parle pas d’une dérive locale mais d’un phénomène mondial qui touche la Chine, l’Australie, les États-Unis, l’Italie, l’Espagne…
En Floride les cueilleurs sont payés 50 centimes pour un panier de 15 kilos de tomates. [1] Pour que cela fasse l’équivalent d’un SMIC français, il faut en cueillir 250 kilos de l’heure, un quart de tonne en 60 minutes, transport jusqu’au camion compris… Dans des serres à 40°C.
Et vous, vous cueillez combien de tomates en une heure ?
Dans le Sud de l’Espagne, les travailleurs clandestins sont parqués dans des hangars insalubres sans eau potable, ni électricité. Ils n’ont pas le droit « d’aller en ville » à cause des désordres qu’ils y causent… Et pour ces taudis on leur extorque la moitié de leur salaire de misère. [2]
Il en va de même en Italie… quand les tomates « italiennes » ne sont pas directement importées de Chine. [3]
Car si l’Espagne est le spécialiste de la tomate en vrac, l’Italie est imbattable sur les préparations : tomates pelées, concassées, en boites, en sauce ou concentrées : ils inondent le marché de tomates « made in Italy » produites dans des conditions atroces en Chine et qui ne sont que transformées en Italie. Cet « or rouge » est devenu la main-mise de la mafia transalpine que l’on embête moins pour son traffic de tomates que pour le traffic de drogues… Et peu importe qu’il fasse infiniment plus de victimes.
Grâce à cet esclavagisme moderne, la main d’oeuvre représente moins d’un tiers du coût de production de cette tomate contre plus de 50% normalement. [2] Et encore, pour faire pousser les tomates en hiver a-t-il fallu transformer un bon morceau de désert Andalous en serre géante… Que l’on voit depuis l’espace ! Regardez cette carte satellite de l’Espagne :
Tout au Sud, à l’Est de Malaga et Grenade, vous trouvez Alméria.
Regardez cette tâche blanche sous le « A » de Almeria… Ce sont les serres : 35 000 hectares de désert qui ont été recouvert de plastique. Cette « réserve naturelle » désertique a été choisie justement pour son soleil en hiver et surtout pour l’eau. La région d’Almeria est riche de nappes phréatiques abondantes.
Elles devraient être asséchées d’ici 10 à 15 ans. Déjà il faut puiser l’eau à 1500 mètres de fonds pour trouver de l’eau propre aux cultures. Les strates supérieures ont été surexploitées et l’eau de mer salée a remplacé l’eau douce.
Mais d’ici-là, voici d’où viendront les tomates et les fraises sur les étals en février :
Il y a quelques années, quand ces fraises de décembre sont apparues, je me souviens avoir demandé à un marchand de fruits comment il avait pu avoir des fraises en plein hiver : « c’est le progrès mon bon monsieur » m’avait-il répondu. C’est une telle réussite, un tel « progrès » que moins de 10 ans après, la plupart des gens que je connais refusent désormais catégoriquement d’acheter des fruits et légumes d’Espagne tant ils sont dégoutants.
Mais il n’a pas fallu plus longtemps pour qu’ils envahissent les supermarchés à tel point que c’est devenu un luxe de choisir un bon fruit ou légume de saison. Vous pourriez me rétorquer que la vie est déjà suffisamment chère comme cela ! Mais c’est un cercle vicieux : en détruisant l’agriculture française et ses emplois comme l’on détruit l’industrie et le tissu économique général, on détruit la capacité de millions de personnes à vivre dignement, de leur labeur.
Je ne vous dit pas qu’il faut mettre un mur de Berlin entre la France et ses voisins du Sud mais un peu de bon sens serait bienvenu.
En Suisse, par exemple, les droits de douanes sont de 5 centimes par kilo de tomate du 21 octobre au 30 avril, soit une taxe symbolique pour payer les formalité. En revanche, quand revient la belle saison, des quotas sont imposés afin de ne pas étouffer les producteurs locaux par une concurrence déloyale. En dehors des quotas, les droits de douanes sont multipliés par 50 à 2,64 francs par kilo. [4] Ainsi, vous pouvez choisir des tomates insipides en février si cela vous plait. Durant la belle saison, les quotas permettent de moduler l’entrée de fruits et légumes selon les besoins et les agriculteurs Suisses vivent dignement et produisent de bon primeurs bien goûtus.
Et quand les nappes phréatiques d’Almeria seront épuisées, ils arrêteront de manger des tomates en hiver et leur agriculture ne s’en portera ni mieux, ni plus mal au contraire de l’agriculture française en crise à qui l’on demande des résultats de magiciens… En respectant les règles du jeu.
Mais en Europe, l’idée de réintroduire un tarif douanier, fusse-t-il intelligent, vital même et gagnant-gagnant est une hérésie qui vous vaut d’être immédiatement excommunié et mis-au-banc de la société parmi les nouveaux ogres et pères fouettards de « l’extrême droite la plus abjecte ».
Monsieur Macron, qu’avez-vous de mieux pour lutter contre les mafias italiennes et les esclavagistes andalous qu’une barrière douanière ? Comment ferez-vous respecter des règles bafouées depuis près de 20 ans sous l’oeil complaisant de Bruxelles ? Enverrez-vous l’armée ?
Je vous laisse, je suis en retard pour repiquer mes tomates.
À votre bonne fortune,
Olivier Perrin
Notes :
[2] https://pages.rts.ch/emissions/abe/1371094-tomates-d-espagne-le-bagne-sous-cellophane.html
[4] http://www.ezv.admin.ch/pdf_linker.php?doc=generaltarif&lang=fr
Alain KALT (retranscription)
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