« La dette publique est une blague ! La vraie dette est celle du capital naturel »
2 juin 2015 / Entretien avec Thomas Piketty
Article intégral : http://www.reporterre.net/La-dette-...
Un PIB qui n’intègre pas le capital naturel a-t-il un sens ?
Le PIB n’a jamais de sens. J’utilise toujours le concept de Revenu national : pour passer du produit intérieur brut au revenu national, il faut retirer la dépréciation subie par le capital. Si une catastrophe a détruit votre pays, et que tout le pays est occupé à réparer ce qui a été détruit, vous pouvez vous retrouver avec un PIB extraordinairement élevé alors que le revenu national sera très faible.
Il faut prendre en compte ce qu’on a détruit, comptabiliser le capital naturel. Rendre compte de ce qu’on crée sans déduire ce qu’on a détruit est stupide.
Un aspect important de votre travail concerne la ‘croissance’ de l’économie. Il rappelle que des taux de croissance élevés de l’ordre de 5 % par an sont historiquement exceptionnels.
Il faut s’habituer à une croissance structurellement lente. Même se maintenir à 1 ou 2 % par an suppose d’inventer des sources d’énergie qui, pour l’instant, n’existent pas.
Sans énergie abondante, n’y a-t-il pas de possibilité de croissance à 1 ou 2 % ?
Il y aura un moment où cela ne va plus coller. Depuis la révolution industrielle, de 1700 jusqu’en 2015, la croissance mondiale a été de 1,6 % par an, dont la moitié pour la croissance de la population (0,8 %) et la moitié (0,8 %) pour le PIB (produit intérieur brut) par habitant. Cela peut paraître ridiculement faible pour ceux qui s’imaginent qu’on ne peut pas être heureux sans un retour aux Trente glorieuses de 5 % par an. Mais 1,6 % de croissance par an pendant ces trois siècles a permis de multiplier par dix la population et le niveau de vie moyen, parce que, quand cela se cumule, c’est en fait une immense croissance. Et la population mondiale est passée de 600 millions en 1700 à 7 milliards aujourd’hui. Pourrions-nous être plus de 70 milliards dans trois siècles ? Il n’est pas sûr que ce soit souhaitable ni possible. Quant au niveau de vie, une multiplication par dix est une abstraction. La révolution industrielle au XIXe siècle a fait passer le taux de croissance qui était très proche de 0 % dans les sociétés agraires pré-industrielles à 1 ou 2 % par an. Cela est extrêmement rapide. Et c’est uniquement dans les phases de reconstruction après des guerres ou de rattrapage accéléré d’un pays sur d’autres que l’on a 5 % par an ou davantage.
Les responsables politiques, la plupart de vos collègues économistes, les journalistes économiques, tous espèrent encore une croissance de 2 ou 3 % par an, certains rêvent même des 6 ou 7 % de la Chine.
Le discours consistant à dire que sans retour à 4 ou 5 % par an de croissance, il n’y a pas de bonheur possible est absurde, au regard de l’histoire de la croissance.
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Alain KALT (retranscription)
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