Jacques Repussard vous salue bien (Directeur de l’IRSN : Institut de Radioprotection et de Sureté Nucléaire)
Le 18 février 2016 par Romain Loury et Valéry Laramée de Tannenberg
Directeur général de l’IRSN, Jacques Repussard quitte ses fonctions dans quelques jours.
À quelques jours de son départ, le directeur général de l’institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) dégoupille deux grenades offensives : la remise à plat de la gestion du post-accidentel en cas de catastrophe nucléaire et l’ouverture d’un débat sur le seuil de libération des déchets très faiblement contaminés. De quoi faire trembler un secteur nucléaire, déjà fortement secoué par les difficultés d’Areva et d’EDF.
D’un prime abord discret, Jacques Repussard aime mettre les pieds dans le plat nucléaire. Il y a trois ans, presque jour pour jour, le directeur général de l’institut de protection et de sûreté nucléaire (IRSN) publiait, en plein débat sur la transition énergétique, la première estimation du coût d’un accident nucléaire majeur. Consternation des nucléocrates français. Soufflés de voir qu’une institution issue du sérail atomique[1] puisse annoncer, sans coup férir, qu’un Tchernobyl ou un Fukushima pourrait coûter plusieurs points de PIB à l’économie nationale.
Gestion post-accidentelle à revoir
Cette fois, ce sont les écolos qui vont frémir. Au cours d’une rencontre avec la presse, le 11 février, l’ancien patron de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) est revenu sur la stratégie post-accidentelle d’un accident nucléaire.
S’appuyant sur le retour d’expérience acquis à la suite des accidents d’avril 1986 et de mars 2011, Jacques Repussard estime qu’il ne faut plus céder aux sirènes du tout-évacuation. « L’accident nucléaire cause des dommages sociétaux indiscutables, avec des conséquences sur le long terme », rappelle-t-il. Pour autant, ces conséquences sont-elles toutes radio-induites ? Probablement pas. Certes, les effets des rayonnements se manifestent.
Et de préférence sur la thyroïde de celles et ceux qui étaient de jeunes enfants au temps des retombées radioactives. « En Biélorussie, Ukraine et Russie, nous avons effectivement diagnostiqué 6.848 cancers de la thyroïde jusqu’en 2005. Mais nous n’avons eu à déplorer que 15 décès entre 1990 et 2006. La majorité de ces cancers est attribuable à l’incorporation d’iode radioactif ; une situation aggravée par l’état de carence iodée des populations concernées », explique Elisabeth Cardis, épidémiologiste à l’institut de santé globale de Barcelone.
Pas de différence entre territoires contaminés et pas contaminés
À Fukushima, la situation est moins contrastée que dans l’Est-européen. « Il n’y a pas de différence significative de nombre de cancers de la thyroïde chez les enfants dans les préfectures touchées ou non touchées par l’accident », indique Jean-René Jourdain. Et le directeur-adjoint chargé à l’IRSN de la protection de l’homme de rappeler que, pour le moment, seuls 15 cas de cancers de la thyroïde ont été confirmés sur une population de 182.547 enfants suivis dans la préfecture de Fukushima.
L’exfiltration de toutes les populations vivant en territoire réputé contaminé n’apparaît pas forcément comme la meilleure des solutions. La pollution radioactive n’est jamais uniforme. « Dans la zone interdite de Tchernobyl, confirme le biologiste Anders Møller (université Paris-Sud Orsay), on peut observer une faune très abondante d’un côté d’une route et rien du tout juste de l’autre côté. »
L’évacuation contribue aussi à la déstructuration des liens sociaux entre anciens voisins et à une certaine désocialisation. « On compte déjà 1.979 décès indirects chez les 160.000 déplacés de Fukushima. 90% concernent des personnes de plus de 65 ans », indique Reiko Hasegawa (Science Po Paris). Avec dans le lot son cortège de suicides ou de victimes de l’alcoolisme : syndromes d’un mal-être souvent imputable au déracinement. Et, peut-être à la perte de repères ? « Les normes de radioactivité qui imposaient le déplacement des populations ont changé. Les gens se sentaient perdus, ne savaient plus s’ils vivaient ou non dans un endroit dangereux », insiste la sociologue.
Pas d’évacuation systématique
Dès lors, faut-il évacuer, comme l’enjoint la législation française, tout habitant situé dans une zone où le dose efficace reçue par la thyroïde atteint 50 mSv ? « Beaucoup de gens sont très stressés d’avoir été évacués de force. On doit donc imaginer des stratégies de gestion du post-accidentel n’obligeant pas à évacuer tout le monde. Ce qui n’a pas grand sens puisque les zonages de contamination seront toujours imparfaits : à Fukushima, la plupart des terrains situés dans des zones où la dose est réputée comprise entre 20 et 50 mSv affichent en fait une activité inférieure à 10 mSv », confirme Jacques Repussard.
D’où l’idée, qui n’a encore aucune valeur officielle, d’aider les habitants situés dans des zones peu contaminées à adopter des réflexes simples les préservant au maximum des rayonnements. A Tchernobyl, la plupart des enfants ayant développé un cancer ont été contaminés en buvant du lait radioactif.
Un seuil de libération ?
Autre cadeau de départ, Jacques Repussard a remis sur la table le dossier, ô combien sensible, des déchets radioactifs de très faible activité (TFA), objet d’un rapport publié mercredi 17 février par l’IRSN. Le sujet va en effet se poser de manière très pressante ces prochaines années : le seul centre de stockage de ces déchets, le centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (Cires), devrait bientôt arriver à saturation.
Situé sur les communes de Morvilliers et La Chaise, dans l’Aube, il a été mis en service en 2003, et est doté d’une capacité de stockage de 650.000 mètres cubes sur une durée de 30 ans. Or avec les prochains démantèlements de centrales nucléaires, ce sont 2,2 millions de mètres cubes de déchets TFA qui devraient débouler ces prochaines années. Selon l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), le Cires devrait être plein aux environs de 2020-2025.
Or sur ces déchets TFA, 30% à 50% présenteraient une activité « très très faible » (déchets TTFA), voire nulle, rappelle l’IRSN dans son rapport. Que faire de ceux-ci ? Auditionné mercredi par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), Jacques Repussard estime qu’il faut revoir le système actuel, en particulier pour les déchets dont la radioactivité est inférieure aux seuils de libération prévue par la directive européenne 2013/59/CE.
Trois pistes
Le rapport de l’IRSN évoque trois pistes : primo, trouver d’autres solutions de stockage, par exemple en orientant les déchets les moins actifs vers les installations de stockage de déchets dangereux (ISDD), au nombre de 16 en France. Deuxio, limiter leur production en laissant sur place les matériaux dont la contamination est de très faible niveau. Et tertio, valoriser certains déchets, en particulier ceux de nature métallique, en recourant à leur fusion dans des filières conventionnelles.
Cette dernière solution est déjà appliquée en Allemagne et en Suède. Elle n’en pose pas moins un important problème d’acceptation sociale, d’autant que « les débouchés ne seraient pas tous internes à l’industrie nucléaire », qui ne suffirait pas à réemployer ses propres déchets, indique Jacques Repussard. Parmi les éventuelles filières, « la métallurgie, les constructeurs automobiles, le génie civil et la construction de routes ».
Pour le député Christian Bataille (PS, Nord), présent lors de l’audition de l’Opecst, « on connaît l’empire des médias et des réseaux sociaux, tout cela a de grandes chances d’être déformé, au risque final qu’on ne puisse rien faire : toutes les démagogies sont possibles derrière de tels sujets ».
Raison pour laquelle il faut, selon Jacques Repussard, engager « un travail sociétal de fond » avant toute chose, éventuellement avec des conférences de consensus ou de citoyens. Viendra alors le travail technique, qui ne sera « possible qu’à condition qu’on libère notre cadre de pensée ».
[1] L’IRSN est issu d’un service du CEA.
Alain KALT (retranscription)
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