Environnement Lançonnais

Le prix du brut menace (encore) la croissance :

samedi 14 avril 2012 par Alain KALT (retranscription)

21 mars 2012

Inflation, récession ou les deux ?

Voici les prix du pétrole brut, de l’essence et du gasole revenus aux niveaux record de 2008. Chaque nouvelle reprise de la croissance économique est-elle désormais vouée à buter sur la hausse des cours du baril qu’elle provoque, comme une poule se cognerait perpétuellement contre le grillage qui la sépare de ses graines ?

Le pétrole est la mère de toutes les matières premières. Lorsque son prix augmente, il entraîne dans la même direction les prix d’une myriade de produits industriels et agricoles.

La reprise mondiale qui semble pointer le bout de son nez est la cause essentielle de la hausse actuelle des cours du baril. Mais ce retour de prix du brut très élevés freine d’ores-et-déjà la reprise, souligne le Financial Times. Comme un cercle vicieux tendant vers une stase.

L’élan que la croissance mondiale est en train de reprendre entraîne une inflation des prix de l’énergie et des matières premières, qui devrait se poursuivre jusqu’en 2013, peut-être au-delà. Le problème, c’est qu’avec le maintien de taux d’intérêts historiquement bas, la politique des banques centrales reste centrée sur la relance de la croissance. Prises entre Charybde et Scylla, ces banques centrales pourraient être incapables de faire face au retour promis de l’inflation, s’inquiète un ancien expert de la banque d’Angleterre dans les colonnes du FT.

En bref, la flambée des cours du brut menacerait toute reprise de la croissance, a fortiori si les banques centrales tentent de faire face à l’inflation.

En encore plus bref : la limite de nos sources d’énergie menacerait l’économie de croissance telle que nous la connaissons. Il y aurait là un « changement de paradigme » que le gestionnaire de l’un des fonds d’investissement les plus réputés de la planète juge être « l’évènement économique peut-être le plus important depuis la révolution industrielle ».

De 2003 à 2008, la période précédente de croissance intense a entraîné une forte inflation des prix de l’énergie. Il se trouve que cette période s’est achevée par la pire crise économique depuis les années 30.

Y’a-t-il un lien ?

Déjà citée ici, la blogueuse Gail "l’Actuaire" Tverberg proposait en 2009 une analyse tendant à montrer l’existence d’un lien de cause à effet entre la hausse des cours du brut sur la période 2003-2008 et la crise dite des subprimes, censée être le point d’origine de la panade des dernières années (krach financier, récessions, crise des dettes publiques).

Gail "l’Actuaire", auteure rigoureuse d’un blog sur les enjeux économiques associés au pic pétrolier, dessine la chaîne d’implications suivante : hausse des cours du brut => hausse de l’inflation => hausse des taux d’intérêts à court terme => récession de l’économie. Elle s’appuie sur les comptes rendus de réunions de la Fed, la banque centrale américaine, tenues entre 2002 à 2007. Au cours de ces réunions, la hausse des cours du brut fut mentionnée à de nombreuses reprises comme source principale de l’inflation qui motiva la hausse du taux d’intérêt directeur de la Fed, hausse qui aboutit à l’explosion aux Etats-Unis de la bulle des crédits hypothécaires à bas coût (les subprimes).

Le lien paraît clairement illustré par le graphe ci-dessous [en rouge : indice des prix américains, carburants compris ; en bleu : taux directeur de la Fed ] :

Aux Etats-Unis, 10 récessions sur 11 depuis 1945 ont été précédées par une hausse des cours du brut, et inversement, 11 flambées des prix du baril sur 12 ont été suivies par une récession, selon une étude de James Hamilton, de l’université de San Diego, citée le mois dernier par Javier Blas, le responsable des matières premières au Financial Times, et déjà commentée ici.

Le graphe ci-dessous, présenté par Gail Tverberg, superpose l’évolution des prix du brut (en dollars constants), des taux d’intérêts à court terme et des récessions aux Etats-Unis depuis 1970 :

C’est une simple vision panoptique, mais elle semble assez édifiante, non ?

Pourtant, la crise née en 2008, dite crise des subprimes, n’est pour l’heure quasiment jamais associée à la flambée des cours du brut qui l’a précédée. Cette flambée passe encore en général pour un épiphénomène de la crise, alors qu’elle pourrait bien en être la cause fondamentale !

Un tel hiatus changerait beaucoup de perspectives, à l’heure où nous faisons face, selon le président de l’Institut français du pétrole, au « troisième choc pétrolier »...

Et maintenant, un petit rappel historique

En 1973, le premier choc pétrolier a entraîné une envolée de l’inflation, qui elle-même a débouché sur une hausse générale des taux d’intérêts, débouchant sur un vaste mouvement de récessions.

Durant quelques temps, l’Italie sembla vouée à la faillite, tout comme... la municipalité de la ville de New York, pointe triomphante de l’économie capitaliste.

Dans les années soixante, New York City avait lancé un programme social aussi ambitieux que coûteux. A partir de la fin de l’année 1974, Wall Street se retrouva submergée par les titres de la dette de la mairie de New York. La ville, qui avait alors une population égale à celle de la Suède et un budget équivalent à celui de l’Inde, fut de fait placée sous la tutelle d’un triumvirat des trois plus grandes banques de la planète, toutes basées sur l’île de Manhattan : JP Morgan, la First National Bank et, oui, la Chase Manhattan Bank de David Rockefeller, le petit-fils du fondateur de la Standard Oil, John D. Rockefeller.

Le 26 mai 1975, ces créanciers furent autorisés à échanger un milliard de dollars de prêts municipaux « pourris » contre de nouveaux titres de créance garantis directement par les taxes perçues par la ville, et bénéficiant de la note maximale : un simple "A".

Ce ne fut pas suffisant. La situation était si catastrophique qu’en octobre, le triumvirat des banquiers de Wall Street implora le président Gerald Ford, son vice-président Nelson Rockefeller (frère aîné de David) ainsi que le Congrès américain de leur prêter 2,3 milliards de dollars, montant stupéfiant pour l’époque, afin de sauver New York, et de se sauver eux-mêmes, dirent-ils, de la banqueroute. Puis il fallut encore imposer à la ville des coupes budgétaires terriblement profondes, qui allaient faire pourrir la Grosse Pomme pendant plus d’une décennie (Taxi Driver sortit l’année suivante).

Oui, tout ça semble familier aujourd’hui. A l’échelle près.

Mais depuis, le monde est changé. Avant 1973 et durant le contre-choc pétrolier des années 80, lorsque les ressources et les capacités de production de brut dépassaient de loin la demande, chaque nouvelle poussée de la croissance pouvait être facilement satisfaite par une hausse des extractions, qui permettait en général de vite tempérer les bouffées inflationnistes.

Même après 1973, il fut possible d’accroître à nouveau la production de pétrole en développant les premiers champs hautement techniques et coûteux, en mer du Nord, en Alaska et au large du Mexique, grâce au flot des pétrodollars surgi du choc pétrolier.

Mais voilà, aujourd’hui, il faudrait entre 2 et 4 nouvelles Arabies Saoudites d’ici dix ans rien que pour maintenir la production à son niveau actuel.

L’économie mondialisée ne se limite plus, comme en 1973, à un club étroit de pays riches. Elle englobe presque toute l’humanité. Les nouveaux puits de pétrole et les nouvelles mines nécessaires pour répondre aux besoins générés par l’activité frénétique de 6,8 milliards de bonshommes sont de plus en plus difficiles, coûteux et lents à développer :

l’humanité technique a commencé à manger son pain noir, alors qu’elle est plus affamée que jamais.

Voir en ligne : source de l’article...

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