Environnement Lançonnais

Le protestataire de Fukushima

mardi 10 septembre 2013 par Alain KALT (retranscription)

Naoto Matsumura continue à vivre près de la centrale ravagée de Fukushima. Il a fait le vœu de nourrir les animaux domestiques abandonnés dans les champs contaminés. C’est sa façon de protester contre l’industrie nucléaire. Quand Naoto Matsumura a fait savoir qu’il retournait vivre dans la ferme familiale, tout le monde l’a pris pour un dingue car ladite maison est à Tomioka, à moins de quinze kilomètres des réacteurs nucléaires dévastés en 2011. Deux ans et demi après l’accident, Matsumura n’a pas bougé, y compris pendant les grands froids de l’hiver. Cet ami des bêtes est une tête de mule. « J’y suis, j’y reste », c’est sa devise.

En mars 2011, Matsumura a fui avec tout le monde. Mais il est vite revenu chez lui malgré les énormes concentrations de césium 137 et de strontium. Pas envie de loger dans une baraque en préfabriqué ou chez des parents plus ou moins compatissants, pas envie d’être regardé comme un paria contagieux. Cet homme aux cheveux gris et à la fine moustache, âgé aujourd’hui de 54 ans, ne voit qu’une façon de contester la catastrophe : rester dans la zone ravagée quels que soient les risques, ne pas quitter la ferme du nord du Japon où sa famille vit depuis au moins cinq générations, nourrir les animaux livrés à eux-mêmes dans la zone irradiée.

En 2011, les policiers chargés d’interdire la zone contaminée voulaient lui passer les menottes et l’expulser. Ils ont fini par céder : Matsumura circule désormais comme bon lui semble. Il entre et sort régulièrement de la zone interdite pour faire ses achats, mettre de l’essence dans son véhicule et donner des interviews. Son combat a fait de lui une célébrité.

A part les cigarettes qu’il fume à la chaîne, il mène une vie d’ermite. Il se nourrit de riz et de nouilles lyophilisées, se couche vers 19 h et se lève avec le soleil. Il passe une bonne partie de ses journées à donner à manger aux vaches, aux cochons, aux chats et à deux autruches qui ont survécu au tsunami. Quelques chiens lui font une escorte permanente mais c’est lui qui montre les crocs quand un fonctionnaire s’aventure à parler d’euthanasier un troupeau.

Les écologistes le vénèrent, les pro-nucléaires le détestent. Il dénonce les propos lénifiants de la Tokyo Electric Power Company (Tepco) chargée d’administrer la centrale. « J’enrage contre Tepco, je veux sa disparition », clame-t-il en constatant les contaminations de la nappe phréatique qu’il n’est plus possible de minimiser.

Il croit à l’harmonie de l’homme et des animaux au sein de la nature

Matsumura est un têtu méthodique. En 2011, il a commencé par libérer les animaux restés prisonniers de leur étable ou de leur niche. Puis il leur a donné à manger. Il a fondé une association, Ganbaru, un mot japonais qui signifie persévérer, tenir bon. Ce combat a été relayé, célébré, encensé. Matsumura, devenu l’idole de toutes les SPA, a reçu de l’argent pour payer la nourriture des chiens et des chats. Mais sur son blog il dit que les réserves pour le bétail ne tiendront que jusqu’à l’automne.

Pourquoi ce combat ? Matsumura incarne les principes ancestraux du Japon. Il croit à l’harmonie de l’homme dans la nature. Au plus profond de sa conscience, il a le sentiment que la nature forme un tout et que ce tout est incomplet quand on n’y inclut pas les animaux. En bon shintoïste, il a le culte de la pureté : il ressent les ravages nucléaires autant comme une pollution physique que comme une souillure métaphysique.

Son combat de stoïcien compte plus que son confort. Il est séparé de sa femme ; ses deux enfants, de jeunes adultes, vivent près de Tokyo. Lui se contente, pour garder un lien avec l’extérieur, d’un téléphone mobile qu’il recharge à l’aide d’un générateur. Sa bonne conscience lui tient lieu d’étoile. Quand la nuit tombe et que tout est noir à Tomioka, il philosophe en se disant que, malgré la tragédie, il connaît un grand luxe : avoir choisi sa vie – et peut-être sa mort. (Source : Dominique Jung - DNA - le 06/09/2013)

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Naoto Matsumura doit beaucoup au photographe Antonio Pagnotta, qui lui a rendu plusieurs visites clandestines en 2011 et 2012 à Tomioka. Pagnotta a donné un écho international au combat de Matsumura (*) en racontant comment il vit dans cette zone de vingt kilomètres de rayon autour des réacteurs. En principe, personne n’a le droit d’y pénétrer à part les policiers chargés d’empêcher les pillages et les techniciens de Tepco qui essayent tant bien que mal de contrôler les rejets émis aujourd’hui encore par la centrale ravagée. Pagnotta ne cache pas son admiration pour Matsumura, qu’il considère comme le porte-drapeau de la résistance japonaise face au désastre nucléaire.

(*) Le dernier homme de Fukushima, par Antonio Pagnotta, éditions Don Quichotte, 219 pages, 17,90 €


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