Environnement Lançonnais

Faut-il repenser la croissance ?

mardi 8 juin 2010 par Alain KALT (retranscription)
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Le temps est-il venu de repenser la croissance ?

Alors que la croissance du PIB stagne ou reste moribonde dans les pays développés et que la question de la fin des ressources se pose avec de plus en plus d’acuité, peut-il exister une prospérité sans croissance ? C’est la question que s’est posée Tim Jackson, professeur de développement durable à l’Université de Surrey. Et c’est par l’affirmative qu’il y répond dans un rapport pour le compte de la commission développement durable, aujourd’hui repris dans un livre traduit en français. La stagnation voire la baisse de la croissance économique est-elle une fatalité ou une chance ? Alors que l’on s’inquiète de la baisse de la consommation dans les pays occidentaux et que les plans de rigueur pratiqués par les pays européens sont vus par certains comme de graves menaces hypothéquant la croissance économique, des voix s’élèvent pour dénoncer l’objectif, vain et non soutenable, de notre obnubilation pour une augmentation continue du PIB. « Il n’est pas réaliste d’envisager une croissance annuelle du PIB de 2 % sur une planète de 9 milliards d’habitants et dont les ressources sont limitées. Il n’y aura pas de revenus de types occidentaux pour tout le monde », clame ainsi Tim Jackson lors de la présentation de la traduction en français de son livre « Prospérité sans croissance »*. D’ailleurs « si l’on regarde les indicateurs tels l’espérance de vie, la mortalité infantile ou l’accès à l’éducation, il est clair que la croissance apporte une amélioration dans les pays en développement mais pour les pays développés, au-delà d’un certain niveau, les avantages sont considérablement réduits ».

Pour une « macroéconomie de l’écologie »

Pour ce professeur au « Centre de stratégie environnementale » de l’université de Surrey et commissaire à l’économie de l’organe consultatif du gouvernement britannique, la commission développement durable, nous sommes en effet confrontés « au dilemme de la croissance ». Qu’il résume dans son livre comme « un étau entre notre désir de maintenir la stabilité économique et la nécessité de rester à l’intérieur des limites écologiques ». Pour en sortir, sans forcément parler de décroissance, il faut donc d’avoir une « approche de macroéconomie écologique ». Ou, pour être plus clair, « être capable de comprendre le comportement des économies lorsqu’elles sont soumises à des limitations strictes en matière de ressources et d’émissions. Et examiner comment elles pourraient fonctionner avec des configurations différentes en matière de consommation, d’investissement, d’utilisation du travail et de croissance de la productivité »

Pour cela deux voies : changer à la fois de logique économique et de logique sociale… En pensant et en orientant les investissements dans une optique écologique, en changeant la nature de l’entreprise, qui serait davantage orientée vers le service et l’épanouissement, et en démantelant la culture consumériste.... « Très vite, on se heurte aux théories de l’impossible et pourtant, cela est faisable », estime Tim Jackson. « Il est possible de redéfinir la prospérité, d’envisager une économie différente et de concevoir l’humain autrement. Nous avons par exemple une idée très limitée de la psychologie humaine, tournée vers le matérialisme et l’individualisme. Mais au fond, lorsque l’on demande aux gens de définir la prospérité, ils citent certes le revenu, mais aussi la famille, la santé, la solidarité, le sens de la vie »…

L’idée n’est pas neuve. Déjà, il y a huit ans, le philosophe Patrick Viveret rendait au gouvernement français le rapport « Reconsidérer la richesse », considéré à l’époque, « au mieux comme une approche anticipatrice, au pire comme une position marginale ». En 2009, encore, quand Tim Jackson a présenté « Prospérité sans croissance » au gouvernement britannique sous la forme d’un rapport de la commission du développement durable, l’accueil a été plus que froid. « Cela coïncidait avec la réunion du G20 et dérangeait visiblement certaines personnes qui m’ont passé des coups de téléphone furieux. La première semaine, nous n’avons eu aucune réaction du gouvernement et très peu de la part des médias…Nous avions l’impression que l’on allait faire disparaître le rapport. Cependant, très vite des financiers, des syndicats, des organisations diverses sont venus chercher le document sur notre site internet et l’ont fait circuler. Ce mouvement a eu un impact sur les politiques qui, au moins, sont maintenant ouverts au dialogue. »

Une réflexion qui fait son chemin

De fait, en 2010, un tel discours tend même « à s’imposer dans le débat public international sous le double effet de la crise économique et financière », écrit Patrick Viveret dans la préface de « Prospérité sans croissance ». La réflexion sur la mise en place d’indicateurs supplantant -ou du moins complétant- le sacro-saint PIB en est l’une des preuves les plus tangibles. « Il existe un consensus sur le fait que le seul PIB ne marche plus, comme en témoigne les travaux de la commission européenne sur le sujet (voir article lié) », note Tim Jackson. Certes, mais un consensus international est loin d’être atteint sur ce que devraient être ces indicateurs.

La France, qui avait commandé un rapport sur la question l’an dernier à la commission Stiglitz (voir articles liés), veut en profiter pour prendre de l’avance. Dans un entretien au Monde, le 20 mai dernier, la secrétaire d’Etat chargée de l’Ecologie, Chantal Jouanno, annonçait en effet un Grenelle 3, consacré en premier lieu aux suites de ce rapport que l’on croyait oublié. « Je voudrais que nous soyons le premier pays à utiliser ces indicateurs, déclarait-elle. L’enjeu, c’est la révision de l’ensemble de notre modèle de croissance, qui ne prend pas en compte la finitude des ressources »…

* « Prospérité sans croissance, la transition vers une économie durable ». Tim Jackson, édition De Boek, en partenariat avec Etopia, mai 2010.

Béatrice Héraud Mis en ligne le : 01/06/2010 © 2009 Novethic - Tous droits réservés


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