Environnement Lançonnais

Déchets : Pourquoi la France a abandonné la consigne

lundi 13 octobre 2014 par Alain KALT (retranscription)

A la différence de l’Allemagne, le système de consigne n’a pas résisté à l’automatisation de l’industrie. Le Plan national de prévention des déchets, qui sort dans quelques jours, le remettra-t-il au goût du jour ?

Elle nous rappelle une photo d’Henri Cartier-Bresson, prise rue Mouffetard en 1954 ; grâce à elle, on s’achetait un roudoudou quand notre grand-père n’en réclamait pas l’argent. Tout le monde voudrait la revoir, mais elle ne revient pourtant pas. Qui est-elle ? La consigne bien sûr. L’Arlésienne de la gestion des déchets ménagers. Le texte du Plan national de prévention des déchets 2014-2020, mis en consultation publique jusqu’au 4 février dernier, et qui devrait sortir sous peu, engage timidement à quelques études supplémentaires sur les avantages et inconvénients de la chose. « Aujourd’hui, en France, le secteur du recyclage est plus soutenu que l’effort en faveur de la prévention : il y a un blocage politique », soupire Flore Berlingen, directrice du Centre national d’information indépendante sur les déchets (Cniid).

Car pour ses partisans, la consigne n’a pourtant plus grand-chose à prouver. D’abord, le mécanisme est bien connu. Le consommateur paye une petite somme pour l’emballage, généralement une bouteille en verre contenant un liquide, et doit rapporter le dit emballage à la boutique. Il peut faire remplir de nouveau sa bouteille, ou, plus généralement, récupérer son écot. La bouteille, collectée avec ses congénères, lavée et re-remplie, sert plusieurs fois. Généralisé en France et en Europe jusque dans les années 1960, ce système n’a pas résisté, chez nous – à la différence de l’Allemagne et de la Belgique – à l’automatisation de la production industrielle et l’apparition du jetable. En 1963, un producteur d’huile vantait sa nouvelle bouteille non-réutilisable : « C’est plus sûr : non consignée, la bouteille ne sert que pour vous, elle ne sert qu’une fois ; vide, on la jette, elle ne revient pas. » La vie moderne quoi !

Brasseurs alsaciens et analyse de cycle de vie

L’agonie fut lente et le coup de grâce ne lui tomba sur le râble qu’au début des années 1990 avec la responsabilité élargie du producteur : ceux qui font les déchets doivent participer à leur gestion. En 1992, la France se décide pour un système de contribution financière versée auprès d’éco-organismes qui se chargeront de redistribuer l’argent aux collectivités. « Ça a signé l’arrêt de mort de la consigne », rappelle Flore Berlingen. Tout le monde n’a pourtant pas lâché la bonne vieille recette. Les brasseurs alsaciens dont le circuit de réemploi est rodé depuis des lustres se sont même payés une analyse de cycle de vie pour vérifier que leur consigne avait des arguments environnementaux. La bouteille « 75 cl Alsace », réemployable, est sortie, avec les honneurs, de son match contre une bouteille de bière à usage unique. Avec une distance de distribution de 260 kilomètres aller-retour en moyenne et 20 réutilisations, son bilan fait même des étincelles : quatre fois moins de consommation d’énergie primaire, des émissions de gaz à effet de serre divisées par cinq, un tiers d’eau économisé.

Du côté des cafetiers, restaurants et hôtels hexagonaux, la bouteille consignée frémit encore. Chaque année, ce sont 40% des bouteilles en verre utilisées dans la restauration hors domicile qui sont récupérées à la porte des bistrots et renvoyées aux producteurs d’eau minérale et sodas pour nettoyage et remplissage. En tout, 500 000 tonnes de déchets sont économisées. « Mais ça s’érode doucement, car conserver une chaîne de réemploi coûte très cher !, note Laure Bomy, directrice générale de la Fédération nationale des boissons. C’est un héritage : si un industriel devait faire un choix économique aujourd’hui, il supprimerait le re-remplissage. » Ce sont pourtant les bistrots de la capitale qui semblent avoir inspiré le vote du Conseil de Paris en juillet dernier. Sous l’impulsion du groupe communiste, les édiles ont formulé le vœu de remettre la consigne en route et créé bien sûr un groupe de travail sur la question… « On expérimente, il y a tout à faire, mais on y revient ! »

« Des études, on en a plein ! On manque surtout de projets pilotes », s’énerve Flore Berlingen, la directrice du Cniid. Et ceux-là, il faut en effet les chercher. Un groupe de valeureux pionniers s’est lancé par exemple dans le Var. Sous la houlette de l’association Ecoscience provence, quatre viticulteurs tentent depuis trois ans l’aventure avec des bouteilles de vin rosé. Les obstacles n’ont pas manqué : les bouteilles de formes très variables, les étiquettes adhésives qui ne partaient pas au lavage, la comptabilité des producteurs pas adaptée et, cerise sur le gâteau, la centrale de lavage qui ferme ses portes l’année dernière. Mais il en faut plus pour démotiver les troupes, satisfaites par les 10% de retour sur les gammes consignées, et les viticulteurs, séduits par les 16 centimes d’euros par bouteille au lieu de 30. « On expérimente, il y a tout à faire, mais on y revient ! C’est dans l’air du temps ! », s’emballe Mikaël Schneider, responsable de projet d’Ecoscience provence. Pour mettre ce parcours du combattant à profit de la communauté, l’association a créé le Réseau consigne et répondu aux appels du Programme Boréal dans le Nord, du Conseil général de Côte-d’Or, et de confrères tous désireux de consigner.

Bientôt des bouteilles consignées pour l’huile, le vinaigre, les jus, le vin D’autres ont tout simplement décidé de révolutionner la consigne ! Le jeune entrepreneur Gérard Bellet, inspiré par le succès de la vente en vrac, en particulier dans les épiceries bios, a eu l’idée d’appliquer le principe aux produits liquides. Dans quelques jours, la Biocoop Saveurs et Saisons, à Villeneuve-d’Ascq, dans le Nord, lancera le premier service de bouteilles consignées pour l’huile, le vinaigre, les jus, le vin… Son entreprise, Jean Bouteille, repose sur l’idée de raccourcir les distances entre le lieu de vente et la laveuse et de supprimer les intermédiaires. Le client de la Biocoop pourra acheter sa bouteille 1 euro dans le magasin, la remplir lui-même du volume de son choix, sur une embouteilleuse distribuant les produits liquides et la rapporter une fois vide pour l’échanger contre une autre ou se faire rembourser. Jean Bouteille se charge de récupérer les bouteilles vides sales et de les rapporter propres et stérilisées à la Biocoop. « Il y aura une laveuse d’une capacité de 100 bouteilles à l’heure pour toutes les boutiques intéressées dans un rayon de 30 kilomètres, explique Gérard Bellet. En réduisant les frais de logistique, on compense le coût du service de lavage. » Au final, l’acheteur devrait gagner entre 10% et 25% du prix au litre. Les bouteilles, dessinées par une designer et sérigraphiées, seront-elles susceptibles de séduire des producteurs d’huile d’olive de qualité ou de vins labélisés ? Gérard Bellet le parie et compte bien installer une consigne par grande métropole hexagonale. Histoire de faire reprendre de la bouteille à la consigne française.

A Bordeaux, mettez vos courses en boîte !

Avez-vous déjà tenté de faire vos courses au supermarché avec des bouteilles vides ou des sacs déjà utilisés ? Bientôt, vous pourrez le faire sans craindre les quolibets. Mais il faudra habiter Bordeaux. L’épicerie La Recharge, qui devrait ouvrir dans quelques jours grâce à une campagne de crowdfunding réussie, propose à ses clients de se munir de « tupperwares, cageots, cagettes, bouteilles et bocaux en verre, sacs en papier ou en plastique » avant de franchir son seuil. Et si vous oubliez vos boîtes, l’épicerie vous fournira un kit de contenants réutilisables – qu’il faudra remettre illico dans votre sac pour la visite suivante. —

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