Suspension de l’écotaxe : un cadeau de 3 Md€ aux transporteurs
Le 10 octobre 2014 par Stéphanie Senet
Dans le flot de réactions suivant l’annonce, le 9 octobre, du « report sine die » de l’écotaxe, France Nature Environnement (FNE) note que le manque à gagner pour l’Etat, et les contribuables, dépasse 3 milliards d’euros par an. Explications.
A y regarder de près, la somme des avantages accordés aux transporteurs routiers au cours des dernières années dépasse largement le seul manque à gagner lié à l’écotaxe. Même si, bien sûr, celui-ci est déjà lourd. Dans sa version initiale, la taxe sur les poids lourds aurait en effet permis de faire rentrer 1,2 Md€ dans les caisses de l’Etat dès la fin 2014, avec un montant moyen de 0,14€/km. Une manne qui devait principalement servir à financer le déploiement de nouveaux équipements, via une enveloppe de 800 M€ à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) pour cofinancer 120 projets, mais aussi 160 M€ aux collectivités locales gestionnaires des routes incluses dans le réseau taxé pour leur entretien et le développement de transports alternatifs.
800 M€ de dédommagement à Ecomouv’
Pour être exhaustif, il faut ajouter le dédommagement d’Ecomouv’, estimé à 800 M€ d’après le contrat signé avec l’état en 2011. « Il ne s’agit pas d’une faveur accordée à la société mais du montant des investissements qu’elle a engagés pour mettre en place le dispositif dans l’Hexagone. Cela correspond tout à fait au marché européen, et notamment au coût du déploiement opéré en Allemagne ou en Suisse », rappelle Michel Dubromel, pilote du réseau Transports et mobilité durables à FNE. Sans oublier le coût de destruction de ces équipements, en particulier des portiques bretons, qui dépasse déjà les 15 M€.
Au montant de cette facture de plus de 2 Md€, s’ajoute une série de cadeaux fiscaux, accordés de-ci de-là. « Tous les avantages fiscaux récemment accordés aux transporteurs routiers représentent au moins 600 M€ », calcule Michel Dubromel. Il s’agit d’abord de la réduction de la taxe à l’essieu, un cadeau fait aux transporteurs en 2009, qui représente un manque à gagner d’environ 50 M€ par an pour le trésor public (soit 250 M€ en 5 ans). « Cette taxe correspond aujourd’hui au minimum autorisé par l’Union européenne. On ne peut plus descendre au-dessous », précise-t-il.
Une usure des routes accélérée
Deuxième cadeau : la généralisation des 44 tonnes, annoncée en 2010, et leur autorisation de n’utiliser que 5 essieux au lieu de 6. Un geste qui accroît l’usure des routes, et donc la facture d’entretien payée par les collectivités. « La hausse des coûts d’entretien liée au passage des 44 tonnes oscille entre 400 et 500 M€ par an, selon un rapport rendu en janvier 2011 par le Conseil général à l’environnement et au développement durable », précise le pilote du réseau Transports. Ce bonus a pourtant été prolongé une nouvelle fois par l’ancien ministre des transports Frédéric Cuvillier avant son départ. A quoi il faut encore ajouter l’allègement du prix du gazole, accordé par le gouvernement aux transporteurs routiers, qui place la France sous la moyenne communautaire. Manque à gagner : au moins 150 M€ en trois ans pour Bercy. Soit un total d’environ 2,8 Md€ a minima.
Quid des impacts sanitaires ?
Sans compter le coût sanitaire de la pollution atmosphérique générée par le transport routier, en grande majorité équipé en véhicules diesel. Inversement, le gouvernement pourrait revenir rapidement sur ces derniers avantages, pour récupérer un minimum de 600 M€ par an. En y ajoutant la hausse de 2 ct€ par litre de gazole, proposée par le projet de loi de finances 2015 (mais pas encore votée) et ses 800 M€ par an, on obtiendrait 1,4 Md€. Le ministre de l’économie Michel Sapin a souligné lui-même, le 9 octobre à Washington, la difficulté de pallier le manque à gagner lié à la suspension de l’écotaxe. Il a aussi rappelé que la taxation des sociétés autoroutières, envisagée par Ségolène Royal, risquait d’être compliquée en raison de la solidité des contrats de concession.
300 emplois en moins
La disparition de l’écotaxe implique aussi 300 suppressions d’emploi chez Ecomouv’ (250 à Metz et 50 à Paris) ainsi qu’un grand doute pour les 130 douaniers affectés au projet. Lors de sa conférence de presse suivant l’annonce de la suspension, Ségolène Royal a pourtant déclaré : « ma priorité, c’est la protection de l’emploi. Et si le dispositif menace l’emploi, une décision doit être prise. »
La conversion ratée des transporteurs français
« Nous avions proposé, dès 2006, un programme d’aide à la conversion du parc destiné aux transporteurs routiers. Comme les autres pays de l’Union, la France était d’ailleurs éligible à des subventions européennes jusqu’en novembre 2013. A cette échéance, le ministre Frédéric Cuvillier a reconnu que Paris avait raté le coche ! », rappelle Michel Dubromel. Un rendez-vous que n’a pas manqué l’Allemagne, qui avait obtenu l’accord des transporteurs sur l’écotaxe (mise en place en 2005 et dont le réseau s’est étendu de 40% en 2013), et qui a de surcroît reçu des aides européennes pour ce secteur. « Plus largement, c’est le modèle économique du transport routier qu’il faut revoir. Ce ne sont pas des subventions successives qui changeront le problème. Il faut qu’il s’oriente vers de nouvelles activités moins concurrentielles, comme la logistique urbaine et le développement de nouveaux services. Il est intéressant d’observer qu’en Allemagne et en Suisse, où il existe une écotaxe, le transport routier est florissant », conclut le chargé des transports de FNE.
Alain KALT (retranscription)
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