Gaz de schistes : vent de révolte dans le Larzac.
Publié le 30/12/2010 par Jean-Marie Decorse, S.B. et Benoît Quaireau
Le Larzac, toujours en résistance.
En 2003 contre la mondialisation. Aujourd’hui contre les gaz de scistes.
Près de 4 000 km2 du plateau sont concernés par les futures explorations de gaz de schiste en Aveyron.
Quarante ans après leurs premiers combats sur le Larzac, les écologistes se préparent pour une nouvelle croisade. Les permis de recherches exclusifs accordés par l’État pour identifier les gisements de gaz de schiste, inquiètent les populations. Gardarem lou Larzac… Quarante ans après, le slogan entend garder toute sa force, même si « l’adversaire » a changé de visage. Cette fois-ci, ce n’est plus contre l’extension du camp militaire que se battent les écologistes, mais bien contre les compagnies pétrolières qui viennent d’obtenir le feu vert de l’État pour rechercher de nouvelles poches de gaz de schiste (notre édition du vendredi 15 octobre). Certes, il ne s’agit pour l’instant que de permis exclusifs de recherche et non pas d’autorisations d’exploitation. Il n’empêche. Pour les défenseurs de la nature, il se prépare peut-être un véritable saccage des hauts plateaux aveyronnais et héraultais avec des techniques d’extraction très contestées puisqu’elles déstabilisent les sols et impliquent le recours à des substances chimiques. Dans le Grand Sud de la France, les demandes d’exploration ne datent pas d’hier. La présence de gaz et de pétrole fait même partie intégrante de notre histoire énergétique entre les gisements de Lacq, de Ger, de Pecorade, ainsi que tous les sites de la région Aquitaine. Mais cette fois-ci, changement de décor : la Dreal (anciennement Drire) est saisie depuis un an de très nombreuses demandes émanant de firmes pétrolières de second ordre ou de géants comme Total pour identifier ce fameux gaz de schiste (lire par ailleurs). En mars, l’ancien ministère Borloo a accordé pour trois ans un permis exclusif de recherches, dit « permis de Nant », à l’américain Schuepbach Energy. La zone concernée couvre 4 400 km2 en Aveyron. Dans le même temps, l’État attribuait à Total le permis de « Montélimar », dans la Drôme pour une surface équivalente, tandis qu’un troisième gisement possible doit être exploré tout autour d’Alès par le Suisse Mouvoli. Le même Schuepbach s’est associé à GDF Suez pour l’obtention d’un autre permis en Ardèche. Et le territoire lotois est concerné à son tour pour un territoire étendu qui couvre pas moins de 5 710 km2 ! Pourquoi l’extraction de ce gaz pour laquelle les pétroliers sont prêts à investir des millions d’euros resurgit-elle dans l’actualité ? La raréfaction des énergies fossiles n’est pas la seule explication. Les techniques employées, dont celle de la fracturation hydraulique, ont accompli un pas important, autorisant aujourd’hui l’exploitation de ce gaz prisonnier d’une roche peu accessible. Et c’est justement ce qui inquiète les riverains potentiellement concernés. Les relevés sismiques par dynamitage, l’utilisation massive d’eau, la violence des systèmes de perforation, la perspective de voir émerger de très nombreux puits, la circulation inévitable de camions lourds dans des paysages encore préservés, sont refusés par une population très peu informée au demeurant de cette campagne de prospection tous azimuts. Jean-Marie Decorse
Coup de gueule.
« Il va y avoir une levée de bouclier ! » José Bové, député européen Europe Écologie, vit sur le Larzac. Quarante ans après, le Larzac se prépare-t-il à une nouvelle mobilisation ? Ce n’est pas seulement sur le plateau, mais bien au-delà, de Montélimar aux portes de Montpellier que les gens vont se mobiliser ! La réunion du 21 décembre à Saint-Jean-du-Bruel a été le lancement de cette campagne pour faire stopper les prospections. Nous voulons un débat public, un moratoire sur les autorisations de prospections. Pourquoi vous opposez-vous à ces prospections ? Si les projets vont à leur terme, ils modifieront la vie rurale, agricole, le paysage du Larzac ! Extraire ce gaz des schistes suppose des forages très serrés, des routes de 15 mètres de large. De grandes infrastructures, comme des lieux de stockage pour l’eau polluée, des bassins grands comme des terrains de foot… Aux États-Unis et au Canada, les problèmes les plus importants concernent la pollution des nappes phréatiques. On sait que les analyses ont montré des remontées d’uranium ; et pour l’instant il n’existe pas de filtre à uranium pour l’eau. Il y a beaucoup trop d’incertitudes. Je vous rappelle que le Larzac est le château d’eau du Grand Sud. Mais ces forages ne pourraient-ils pas constituer une source de revenus pour le Larzac ? Le sous-sol est propriété de l’État. En terme économique, il n’y aura pas de retombée sur le secteur. Et puis la question de l’énergie est complexe. Il faut d’abord lutter contre les gaspillages. On ne sait pas quelle sera la quantité de gaz produite, mais on sait que cette industrie sera aussi polluante que celle du charbon. Alors, vous êtes sur le pied de guerre ? Il va y avoir une levée de bouclier. Les élus, qui ont appris le projet par les médias, commencent aussi à se mobiliser. Jean-Louis Borloo, l’ancien ministre, n’a informé personne : ses services ont mis tout le monde devant le fait accompli. Nous ne pouvons pas accepter ces prospections sans un débat public. Recueilli par S.B.
Témoignage.
Anne-Marie Letort : « C’est tout le Sud qui est menacé » Comme une odeur de souffre au milieu du gaz… « Si ce projet devait se réaliser, ce serait une sorte d’apocalypse », annonce d’emblée Anne-Marie Letort, farouche opposante à l’exploitation de gisements de gaz et membre depuis quarante ans de l’APAL (association pour l’aménagement du Larzac). Fin décembre, Anne-Marie Letort, résidant à Sauclières (Aveyron), a assisté à la réunion publique à St-Jean-du-Bruel, en présence de militants de la mouvance larzacienne, dont l’eurodéputé José Bové, mais aussi les maires de Sauclières, St-Jean-du-Bruel, de Nant, et l’ONG « Les amis de la Terre ». Une réunion « touchante et très pédagogique, qui aura rassemblé de nombreuses personnes de tous horizons (commerçants, habitants, élus, spéléologues…) pour s’informer et résister. Le Larzac ne veut pas voir réduit à néant son bonheur de vivre. Le climat de résistance est très affirmé. D’autant qu’aucune concertation de la population n’a eu lieu… ». Lors de la réunion, des diapositives ont défilé sur les destructions causées aux États-Unis et au Canada par l’exploitation de ces gisements de gaz : forêts rasées, aménagement de routes, sol parsemé de puits, énorme consommation d’eau pour l’extraction, utilisation de produits chimiques, terres et nappes phréatiques polluées… « Des apprentis sorciers affirment que les conséquences seront moindres pour le Larzac. Mensonge ! », peste Anne-Marie Letord. L’Aveyron ne sera pas le seul département touché. « Le Sud est menacé. Notamment les Cévennes et la Lozère, sanctuaires et territoires sacrés à la nature préservée, essentiels à la respiration de l’humanité. Tout cela au nom de quoi ? Le profit. » De plus, GDF-Suez et Schuepbach Energy « argueront qu’elles créeront des emplois ici. Mais elles viendront avec leur personnel et leur matériel ! », regrette Anne-Marie. Une étude sur les risques sanitaires et environnementaux liés à l’exploitation a été exigée par l’ONG « Les amis de la Terre ». Une pétition au niveau des régions concernées, la création d’un comité de surveillance sur le Larzac ou un jumelage entre Nant, St-Jean-du-Bruel et des communes canadiennes ou américaines impactées par les gisements sont évoqués. Benoît Quaireau
Prospections sous les chênes truffiers du Lot ?
Jusqu’à présent, le département du Lot était connu pour ses prospections sous les chênes truffiers. Mais la société anglaise 3Legs Oil and Gas, dont le siège social se situe dans l’île de Man, a demandé un permis d’exploration pour le gaz de shiste au mois d’août dernier. La demande de permis, dit « permis de Cahors », porte sur 5 710 km2. Supérieur à la superficie de tout le département ! Dans la demande de « permis de Cahors », qui figure au Journal officiel du 24 août dernier, la société englobe une partie des départements de l’Aveyron, de la Dordogne, du Lot, du Tarn et de Tarn-et-Garonne. Ce qui est vaste… À l’heure actuelle, on ignore si le permis de prospection a été accordé. Au conseil général du Lot, les élus ne sont pas informés. Mais les associations écologistes sont déjà mobilisées. Laurent Cougnoux, qui dirige la revue « Le Lot en action », a déjà publié quelques articles sur les extractions de gaz de schiste aux États-Unis : « C’est une aberration écologique », dit-il. Les associations savent que la course aux gaz de schiste a déjà commencé en France. Alors pourquoi pas dans le département du Lot qui est ciblé par la société 3Legs Oil and Gas. « Nous n’avons pas d’informations précises, déplore Laurent Cougnoux. Selon lui, le « permis de Cahors » pourrait peut-être concerner le secteur de la Bouriane ou le Ségala dans le département. Mais qui cherche ne trouve pas forcément. En 1994, Elf Aquitaine avait fait des sondages dans le sous-sol du village lotois de Sabadel pour trouver du gaz. En vain. « Les techniciens ont foré jusqu’à 3 400 m, et ils ont arrêté », se souvient l’ancien maire de Sabadel Camille Caussanel. La compagnie pétrolière a laissé la plate-forme sur place. Qui reste inutilisée. S.B.
Le chiffre.
1,7 million > D’euros. C’est la somme que la compagnie américaine Schuepbach s’est engagée à investir pour ses recherches de gaz de schiste sur le Larzac. En tout, pas moins de sept permis de recherches ont été déposés en Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon.
La phrase.
« On s’attend à une multiplication des demandes pour installer des puits pilotes. Mais il faut observer la courbe du prix du gaz pour qu’il ne soit pas trop cher à produire. » Roland Vially, géologue (IFP).
Alain KALT (retranscription)
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