Environnement Lançonnais

En tant que Maire, voici pourquoi je m’opposerai jusqu’au bout aux compteurs Linky

mardi 19 juin 2018 par Alain KALT (retranscription)

De l’aveu même du responsable national du déploiement des compteurs communicants Linky, la "course" avec les hackers est "sans fin".

En tant que Maire, voici pourquoi je m’opposerai jusqu’au bout aux compteurs Linky.

Élu en 1993 maire de Bovel, 613 habitants, je m’oppose au déploiement des compteurs communiquant Linky de la société Enedis. Depuis qu’en 2017 mon conseil municipal a délibéré, et que nous avons fait appel du jugement annulant notre délibération, des dizaines de gens me téléphonent ou m’écrivent, certificats médicaux à l’appui, pour me dire qu’ils sont malades, ne sachant plus à quel saint, à quelle justice, à quel élu se vouer pour obtenir le droit de vivre dans un environnement sain (NDLR : à l’heure actuelle, les études scientifiques montrent que les compteurs n’ont pas plus d’impact sur la santé que les anciens compteurs).

Ai-je une seule bonne raison de ne pas croire ces gens qui me disent qu’ils souffrent ? De ne pas les écouter ? De ne pas tenter de les aider ? Que feriez-vous ? Quel maire seriez-vous ? Lorsqu’un agent (ils sont des milliers) venu relever mon compteur me dit avec fatalisme : "dans deux ans je suis au chômage", je préfère, comme la majorité d’entre nous, donner quelques euros pour la relève annuelle de mon compteur.

Tous nos concitoyens savent que leurs élus - maire, député, sénateur... ont beau jeu de se proclamer responsables, puisqu’ils quittent presque toujours la scène politique avant que les scandales sanitaires ou la dilapidation des fonds publics n’apparaissent au grand jour.

Alors, que signifie dans le cas présent être "responsable" ? Responsables de la maîtrise de l’énergie ? Lorsque l’enjeu véritable d’une loi est financier, il nécessite de la part des gouvernants l’affichage d’une belle intention. Pour ces nouveaux compteurs, la belle intention se nomme : Transition énergétique. Lisons le récent rapport de la Cour des Comptes, et découvrons que nous finançons bien, nous, usagers, les 35 millions de compteurs communicants que la loi nous impose, que l’opération sera financièrement positive pour le seul opérateur et non pour l’usager, mais qu’il est fort probable que l’opération soit inefficace pour la maîtrise de la consommation et le pilotage des pics de consommation.

Responsables de notre sécurité alors ? Mais quelle loi responsable prévoit que soit vérifiée, avant la pose d’un compteur, la compatibilité de la puissance délivrée avec votre installation électrique existante, de manière à éviter tout incendie ? Aucune ! Nombre d’usagers doivent-t-ils attendre que leur installation disjoncte et que leur matériel soit détérioré, pour découvrir que la puissance autorisée par les nouveaux compteurs est de 13% inférieure à celle des compteurs électromécaniques, le calibrage du disjoncteur intégré n’étant pas de même ampérage ? Oui ! La souscription d’un abonnement supérieur est-elle bien facturée ? Oui ! La pose de compteurs sur une propriété privée, préconisée même en l’absence du propriétaire et contre son gré, viole-t-elle délibérément les principes élémentaires du droit privé ? Oui ! L’Etat est-il garant de la sécurité ? Joker !

Élus plutôt responsables de la transition numérique ? Exactement ! Or, capter, stocker et revendre des informations sur nos modes de vie, même si nous y consentons, ravale notre vie privée au statut de marchandise. C’est pourquoi un "opérateur Big Data" n’est pas un service public mais un marchand qui entend tirer profit de nos vies privées. Informations sur notre consommation, notre santé, nos goûts, nos achats, notre conduite automobile, etc. toute donnée devient source potentielle de revenus, de calculs d’intérêt, d’offres personnalisées. Les compteurs/capteurs de données, les condensateurs, en sont des relais.

Élus responsables de la sécurité ? La protection de nos données personnelles est encadrée par des lois que chaque gouvernement peut changer demain ! Si les lois nous protégeant aujourd’hui étaient respectées, aucune donnée personnelle, jamais, ne serait transmise sans l’accord des personnes concernées.

Mais que révèle la presse, que montrent les jugements rendus sur ces questions, en France comme à l’étranger ? Violation et parfois impunité ! De l’aveu même du responsable national du déploiement des compteurs/capteurs communicants la "course" avec les hackers est "sans fin". L’anonymat de nos données est donc un vœu pieux. Et rien ne met à l’abri les systèmes de gestion des données d’une prise de contrôle mal intentionnée. Entreprises, administrations, en font l’expérience. Un monde interconnecté soi-disant pour notre bien, une vie bientôt entièrement numérisée, des algorithmes traitant des centaines de millions d’informations qui agissent et décident pour nous, nous rendent passifs, assistés, dépendants, ignorants et contrôlés par des choix politiques, et surveillés, conseillés, orientés, formatés avec sollicitude par le monde marchand, à grand renfort de puces et de capteurs, de la machine à laver à la brosse à dents... Monde despotique, doux et anonyme, où nous sommes déjà intégrés à notre insu en toute insécurité.

Attaché à l’Esprit des Lumières plutôt qu’à celui des propagandes commerciales et des rhéteurs politiciens, je préfère avoir raison tout seul ou peut-être avoir tort seul mais agir selon ce qui pour moi est digne d’un Homme, plutôt que de soumettre mon sens des valeurs au dictat du Code des Collectivités Territoriales. Il définit les limites du pouvoir d’un maire et permet donc aux tribunaux d’annuler les délibérations des communes opposées aux compteurs communicants. Référence des légalistes frileux et des adorateurs naïfs du dieu Progrès, ce code ne suffit pas à donner sens à la fonction d’élu.

Je préfère saluer les actes courageux et trop rares des conseillers municipaux et maires qui incarnent une véritable éthique. Défiant à l’égard des politiques, je préfère espérer encore un monde préservé de cette marchandisation et de cette déshumanisation que nombre d’entre nous ne veulent ou ne peuvent pas voir. Aussi je solliciterai les juridictions aussi loin que mon conseil municipal me permettra de le faire. Espérer, que faire d’autre ? Je songe à ces mots d’Alexis de Tocqueville, écrits en 1835, prémonitoires de ce monde individualiste et de cette vie contrôlée, numérisée, peignant avant l’heure cette solitude des interconnectés perdus dans leurs écrans, saturés de news et de "fakes", aveugles à ce qui se déploie sous leurs yeux : "Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux... Chacun d’eux... est comme étranger à la destinée de tous les autres... Il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir... que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ?" L’intelligence artificielle, pour éviter "le trouble de penser et la peine de vivre" ? Une application téléchargée à la place du cœur ? Non, merci !

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