Environnement Lançonnais

Méga-entrepôts, maxi bobards et giga risques

dimanche 15 juillet 2018 par Alain KALT (retranscription)

Des accidents inquiétants pour la sécurité des riverains

Crédit photo : Andrew Mager

Les entrepôts logistiques sont des hangars de stockage, accueillant l’ensemble des produits transitant sur le territoire : matières premières, textiles, alimentation, produits de la grande distribution, produits chimiques… une diversité de produits et de matières qui nécessitent une gestion rigoureuse et une vigilance redoublée.

Pour preuve, 207 accidents dans des entrepôts logistiques sont à déplorer entre 2009 et 2017. Dans 85% des cas il s’agit d’incendies, difficiles à maîtriser, qui nécessitent l’intervention de nombreux pompiers et engendrent parfois des interruptions de circulation routière et ferrée. L’environnement et la santé des riverains sont aussi mis à rude épreuve : fumées plus ou moins toxiques, pollution de l’eau et des sols par les eaux d’extinction… Ces accidents ne sont pas anodins dans un contexte périurbain et nécessitent parfois l’évacuation des logements alentours.

Parmi les causes fréquentes, le stockage anarchique, l’absence d’inventaire ou encore la vétusté des lieux. Le dynamisme du secteur, poussé par les nouvelles formes de consommation, conduit à se questionner sur la sécurité des entrepôts logistiques : comment concilier sécurité des riverains et protection de l’environnement, avec le développement de ces hangars ?

Une course à la compétitivité au détriment de la sécurité

L’importance des normes

Les entrepôts logistiques sont des « installations classées pour l’environnement » car elles stockent beaucoup de produits, dangereux ou non, présentant un risque certain pour l’environnement et les riverains. Ainsi en fonction de la nature et de la quantité de produits que contient un entrepôt, celui-ci sera plus ou moins encadré par la préfecture : simple déclaration, enregistrement ou autorisation préfectorale. Certains sont mêmes classés Seveso, un classement qui permet de mieux prévenir les accidents par un encadrement plus strict et de renforcer leur surveillance.

Pourquoi de telles précautions ? Le conditionnement en cartons et plastiques, reposant sur des palettes peut transformer un entrepôt en brasier en quelques minutes. L’encadrement, le contrôle et l’installation de systèmes de sécurité dans ces stockages est donc un impératif pour la sécurité de ces sites. C’est pourquoi l’entreprise donne à la préfecture la liste de toutes les substances qu’elle va accueillir sur son site, ainsi que les quantités maximales. Celle-ci les additionne et détermine le régime applicable.

Confiance aveugle ou négligence délibérée ?

C’est là que le bât blesse. France Nature Environnement 77, fédération Seine-et-Marnaise du mouvement France Nature Environnement, s’est rendue compte que la préfecture s’arrangeait en réalité pour permettre aux méga-entrepôts, susceptibles d’être classés Seveso, de ne pas relever de ce régime contraignant. Le tour de passe-passe ? Une phrase magique, glissée dans l’arrêté d’autorisation : « l’exploitant s’engage à ne pas dépasser les classements Seveso ». Elle permet ainsi à l’entreprise de ne pas relever du niveau de sécurité maximal, par le jeu des gestions de stock, bien que la nature et les quantités maximales des produits imposent ce classement Seveso.

Ainsi, au fil des jours, lorsqu’une nouvelle marchandise entrera sur le site, l’exploitant s’assurera qu’une autre quitte les lieux. Comme si vous aviez la capacité de faire dormir 5 personnes chez vous, mais que vous vous engagiez à n’en accueillir que 4 auprès de votre propriétaire. Mais que se passe-t-il lorsque vous avez un invité ?

Dans le viseur : LIDL, Carrefour, M. Bricolage, Lesieur, L’Oréal ou encore Amazon

En Seine-et-Marne et ailleurs, cette confiance aveugle de l’Etat aux exploitants pour gérer leurs stocks est inquiétante. Les exemples de mauvaise gestion des stocks ne manquent pas, et l’entreprise Prologis s’illustre tristement en la matière. L’inspection des installations classées a constaté en 2009 que Prologis stockait illégalement 100 tonnes de matières dangereuses (acide borique) sans autorisation sur un entrepôt situé dans les Bouches-du-Rhône[1]. Même chose en 2017 pour un entrepôt de Seine et Marne[2] : des produits dangereux étaient illégalement stockés et les registres de stock n’étaient pas à jour… De même après l’effondrement de la toiture de leur entrepôt situé à Ethainhus (76), Prologis avait continué en 2013 à stocker des matières alors que le système d’extinction incendie était hors service[3]. Un problème qui s’est également présenté sur le site de Lisses (91)[4].

Lorsqu’on sait que Prologis gère 131 plateformes logistiques sur le territoire métropolitain, la bienveillance de l’Etat dans sa bonne gestion n’est pas de bon augure. Mais ce n’est pas le seul groupe à bénéficier des largesses des préfectures, le groupe international FM Logistic en profite tout autant et a augmenté ses surfaces de 160 000 m2 en 2016[5]. Ces noms ne vous disent rien, mais leurs clients sont connus : LIDL, Carrefour, M. Bricolage, Lesieur, L’Oréal, Amazon…

L’environnement et l’information du public sur le carreau

Malgré ces signaux peu encourageants, l’Etat a assoupli en 2017[6] les règles encadrant les entrepôts logistiques afin de favoriser leur accroissement et agrandissement. Toujours plus gros, il est désormais possible d’avoir des entrepôts avec une capacité de stockage allant jusqu’à 3 millions de m3 soit l’équivalent de 1000 piscines olympiques !

A cela s’ajoute le choc de simplification général, qui laisse l’environnement et l’information du public sur le carreau. L’évaluation de l’impact environnemental, autrefois demandée systématiquement, se fait désormais au cas par cas. Et les volumes de produits stockés sur les méga-entrepôts ne sont plus rendus publics, car les informations pourraient être « sensibles pour la sécurité du territoire » …

[1] Entreprise Prologis France XLV, à Grans (13 450), arrêté de mise en demeure du 1er décembre 2009

[2] 2 Arrêtés préfectoraux de mise en demeure du 20 septembre 2017, société Prologis à Compans, 77 290 : régularisation des stocks et évacuation des substances dangereuses non autorisées

[3] Arrêté de mise en demeure daté du 31 mars 2013, Prologis France CXXIV à Etainhus (76)

[4] Arrêté de mise en demeure, du 21 septembre 2017, Prologis France XL VII à Lisses (91)

[5] Rapport Annuel de FM Logistic, p.22

[6] Arrêté du 11 avril 201

La logistique : un secteur en pleine expansion

Le secteur des Entrepôts et Plateformes Logistiques (EPL) se développe le long des axes routiers et des métropoles : 81% des entrepôts se situent autour des grandes agglomérations françaises. Et les trois métropoles que sont Paris, Lyon et Lille sont ceintes d’aires logistiques, qui représentent près d’un quart des entrepôts de plus de 5 000 m2 en France. Sur l’ensemble du territoire français, on dénombre plus de 4 400 entrepôts logistiques de plus de 5 000 m2 (soit 2 piscines olympiques), occupant une surface de 78 km2, équivalente à la superficie de la ville de Strasbourg.

Depuis le début des années 2000 ce secteur en pleine expansion a atteint les 200% de croissance dans les pays industrialisés. Cette croissance a fait naitre les « méga-entrepôts » en France : des hangars de 50 000 à 150 000 m2 (20 à 60 piscines olympiques) ont vu le jour, comme la plateforme d’Amazon près d’Amiens (Picardie). Mais le record de France vient d’être dépassé en Seine et Marne avec la construction d’un entrepôt de 171 000 m2 de surface, avec une capacité de stockage de 2 500 0000 m3… soit l’équivalent de 1 000 piscines Olympiques !

Artificialisation des sols et pollution de l’air

Des colis au lourd impact sanitaire et environnemental

Si le commerce sur internet peut sembler être une solution pour consommer en maitrisant son impact sur les changements climatiques, tout dépend en réalité de ce que l’on achète. Internet a fait émerger des modes de consommation alternatifs grâce à des sites de vente et location entre particuliers, contribuant à réduire l’empreinte carbone. Mais acheter des articles neufs augmente le trafic routier : les distances à parcourir pour acheminer les marchandises jusqu’aux boites aux lettres sont significatives. Le surcoût lié au transport est compensé par la localisation des entrepôts de stockage en zone périphérique, aux loyers plus faibles. Acheter des produits neufs sur internet contribue donc à :

- Artificialiser les sols qui jouent un grand rôle dans la régulation du climat

- Augmenter les émissions de gaz à effet de serre par le trafic routier[1]

- Détériorer la qualité de l’air

Illustration : en Ile de France[2], 39% des émissions de gaz à effet de serre lié aux véhicules est émis par les poids lourds et véhicules utilitaires. Lorsqu’on sait que 48 000 morts prématurées par an sont liées à la pollution de l’air, notre colis parait moins inoffensif ! Pourtant, d’autres moyens de livraison existent. La vente par internet pourrait réduire son empreinte carbone sur les derniers kilomètres que parcourent les marchandises : transport fluvial, vélos cargo… les solutions sont faciles à mettre en place.

[1] Source : étude artificialisation des sols de l’INRA, précité, p.98

[2] Donnée Air Parif

Des villes cernées par le béton et la tôle

Tous les 7 ans en France, on bétonne l’équivalent d’un département. L’activité logistique prend activement part à cette artificialisation, grignotant nos terres naturelles et fertiles, s’installant en périphérie des villes déjà soumises à forte pression foncière... En Ile-de-France par exemple, 120 entrepôts logistiques de plus de 5 000 m2 se succèdent le long des autoroutes entre Gennevilliers et Tremblay-en-France. En tout, ce sont 20 millions de mètres carrés qui sont occupés par des entrepôts logistiques en Ile-de-France, représentant un quart du parc immobilier français ! Cette situation est le résultat d’une croissance récente : entre 2001 et 2009, le nombre total de mètres carrés a cru de 50%[1].

L’Ile de France est une région particulièrement touchée par l’artificialisation. Les premières victimes : les terres agricoles (plus de 80% des cas d’artificialisation). Dans plus de 60% des cas ce sont des terres de bonne ou très bonne qualité agronomique[2] qui ont disparu en Ile-de-France. Le développement des entrepôts logistiques sur des hectares et des hectares met directement en danger la capacité des franciliens à s’alimenter en produits frais et locaux.

Et malgré les annonces qui vont dans le sens de la protection des sols et de la biodiversité, le gouvernement ne semble pas avoir pris le poids de la problématique de l’artificialisation des sols. Le plan « France Logistique 2025 » porté par le ministère de l’économie et de l’écologie en 2015 annonce dès le second paragraphe : « Notre pays est notamment reconnu pour la qualité de sa main d’œuvre, de son maillage d’infrastructures et d’équipements, ou encore la disponibilité de ses terrains », ouvrant grand les bras à l’artificialisation de tous les abords d’axes routiers.

[1] Source : étude artificialisation des sols de l’INRA, p.97

[2]Source idem [1]

Le mirage de la création d’emplois

Le développement économique au détriment de la préservation d’espaces naturels d’exception

Afin de faciliter l’implantation de plateformes logistiques sur leur territoire, les collectivités n’hésitent pas à revoir leurs documents d’urbanisme, libérant du foncier même lorsqu’il représente une richesse environnementale pour le territoire.

Ainsi dans les Bouches du Rhône, la plaine de la Crau est déjà victime de cet engouement pour les plateformes logistiques. Cette dernière steppe d’Europe occidentale, ancien lit de la Durance, est classée zone Natura 2000, abrite de nombreuses espèces végétales et animales protégées, et est pourvoyeuse d’eau pour l’agriculture et les populations. Sa richesse exceptionnelle est la résultante de milliers d’années d’évolution naturelle et de pastoralisme. C’est pourtant sur cette terre d’exception qu’ont été identifiés 4 sites prioritaires pour l’implantation de plateformes logistiques. La ville de Saint Martin de Crau a donc entamé le développement d’une ZAC logistique sur plus d’un million de m2, sur des zones naturelles et agricoles, dont certaines classées AOC. Dans ce contexte de menaces toujours croissantes sur le milieu unique de la Crau, les associations Agir pour la Crau et France Nature Environnement 13 ont attaqué[1] le plan local d’urbanisme de la commune et ont démontré que les évaluations environnementales nécessaires n’avaient pas été réalisées. Ils ont obtenu gain de cause devant le tribunal administratif, dont le jugement a été confirmé en appel.

Cela illustre qu’en matière de développement économique, pour l’Etat comme pour les collectivités, c’est encore l’économie qui prime sur la préservation des espaces naturels, aussi remarquables et importants soient-ils. Pourtant la France ne manque pas de friches industrielles laissées à l’abandon et qui pourraient être réutilisées pour l’implantation de nouvelles activités.

[1] Voir le jugement de la CAA Marseille, 29 octobre 2015

La création d’emploi, un espoir qui coûte cher aux institutions publiques

L’une des raisons de l’engouement des collectivités pour les entrepôts logistique est la promesse de création d’emplois. Si les entreprises font miroiter des centaines d’emplois aux collectivités, elles ne communiquent pas sur leur qualité : emplois précaires, temps partiels, pénibilité, accidents du travail sont les caractéristiques de ce secteur. La logistique s’illustre également par une forte robotisation des tâches. Aux Etats Unis, Amazon « emploie » déjà plus de 45 000 robots ! Au regard des surfaces urbanisées la création d’emploi semble bien faible : en moyenne, les entrepôts de 5 000 à 10 000 m2 emploient 16 salariés, et ceux de plus de 30 000m2 en emploient 61. La réalité est bien en deçà des chiffres annoncés dans la presse par les grands groupes.

Pourtant l’Etat et les régions subventionnent ces emplois, à l’image des aides publiques accordées à Amazon en 2012 par le conseil régional de Bourgogne Franche Comté et par l’Etat d’un montant de 1,125 millions d’euros pour la création de 250 emplois.

Mieux encadrer le développement du secteur

Si pour préserver l’environnement, la meilleure solution est d’acheter des produits d’occasion et/ou locaux, des solutions existent pour réduire l’impact du développement de la vente en ligne sur l’environnement. France Nature Environnement demande à l’Etat d’inciter les exploitants à implanter ces entrepôts sur des friches industrielles plutôt que sur des espaces naturels et agricoles précieux, et à choisir des modes de livraison moins émetteurs de CO2 que les camions. Afin d’assurer la sécurité des riverains, France Nature Environnement demande également à ce que le droit soit respecté pour que la sécurité des riverains ne soit pas bradée.

Lorsque vous ferez les soldes, pensez déjà à regarder les produits d’occasion et à faire les boutiques avant de cliquer !

Voir en ligne : Source de l’article...

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