Environnement Lançonnais

Les conséquences de la climatisation de la planète

mercredi 16 novembre 2011 par Alain KALT (retranscription)

Le 15 novembre 2011 par Valéry Laramée de Tannenberg

Fertiliser l’océan est plus néfaste pour la vie marine et pour le climat que prévu. Conformément aux accords de Nagoya, le secrétariat de la Convention sur la diversité biologique vient de terminer l’audit écologique des techniques de géo-ingénierie. Un bilan qui fait froid dans le dos.

Dans l’enthousiasme général, on avait oublié un élément non négligeable de l’accord signé, l’an passé, sur la préservation de la biodiversité à Nagoya [JDLE].

Joliment baptisée X/33, la décision impose au secrétariat de la Convention sur la diversité biologique (CDB) de réaliser une étude sur les conséquences pour la biodiversité de la mise en œuvre de solutions de géo-ingénierie pour lutter contre le changement climatique.

Un an plus tard, le premier draft de l’étude est soumis à consultation. En voici les principales conclusions. On le sait, un nombre croissant de scientifiques militent pour réduire le réchauffement climatique en déployant des solutions technologiques jamais mises en œuvre jusqu’à présent.

Globalement, deux grandes familles de techniques s’opposent : les « réductrices » de radiations solaires (Solar Radiation Management, SRM en jargon anglais) et les « extractrices » de CO2 atmosphérique (Carbon Dioxide Removal, CDR). Dans le premier cas, on cherche à abaisser, par différents moyens, l’apport d’énergie solaire vers la terre. Certains proposent d’insuffler dans l’atmosphère des sulfates pour imiter les nuages volcaniques qui, en empêchant l’énergie solaire d’atteindre le sol, rafraichissent le climat. D’autres imaginent envoyer de grands miroirs dans l’espace pour retourner vers l’envoyeur une partie de l’énergie solaire. Audacieux aussi ceux qui prônent de blanchir les nuages pour accroître l’albédo terrestre (son indice de réflectivité).

Les partisans du CDR suggèrent de réduire la concentration de gaz carbonique (le principal gaz à effet de serre, GES, anthropique) de l’atmosphère. Les solutions les plus évidentes sont d’accroître les surfaces forestières ou la capacité des sols à absorber le carbone. Des héritiers du docteur Folamour proposent plutôt de provoquer des blooms de phytoplanctons qui, grâce à la photosynthèse, absorberaient notre CO2 superflu.

Tout cela est bel et bon mais, à l’exception de la fertilisation de l’océan (laquelle provoque les blooms de micro-algues), aucune de ces techniques n’a jamais été testée. Leurs performances climatiques réelles sont donc inconnues. Et les conséquences sur le vivant de leur emploi intéressent bien peu de chercheurs.

Pesant ses 70 pages, l’étude de la CDB a été réalisée selon les canons du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) : les auteurs n’ont pas réalisé de recherches par eux-mêmes (cela aurait été trop long et trop coûteux), mais ont rédigé une synthèse de la littérature scientifique de ces dernières années.

Aussi parcellaires soient-ils, ces premiers résultats ne donnent pas envie de climatiser la planète. Pour le cas où des techniques de SRM seraient mises en œuvre, il est plus que probable que les effets refroidissants ne se produisent pas partout avec la même intensité. Une contre-performance déjà mise en exergue, l’an passé, par Katharine Ricke, de l’université Carnegie Mellon de Pittsburgh [JDLE]. Certaines régions seraient donc soumises à un climat convenable, d’autres non, les sous-tropiques notamment. Avec les conséquences écologiques et politiques que l’on peut imaginer. Le déploiement du SRM pourrait profiter aux espèces lentes à s’adapter aux changements climatiques (celles vivant en montagne ou dans l’Arctique) mais s’avérer néfaste à celles à celles dotées d’une capacité d’adaptation rapide.

Voilà pour les considérations d’ordre général. Pour le particulier, les critiques sont encore moins amènes. L’injection de sulfates dans l’atmosphère pourrait accroître les pluies acides et leurs effets dévastateurs sur les milieux lacustres. Autre effet du sulfatage planétaire : l’accroissement du mitage de la couche d’ozone. Ce qui aurait pour effet de réduire le filtrage des radiations ultra-violettes solaires, dommageables pour nombre d’espèces végétales et animales, dont l’homme. L’injection d’aérosols à haute altitude pourrait aussi réduire la capacité des micro-organismes du sol à dégrader la matière organique, réduisant du même coup la disponibilité de certains nutriments des végétaux.

Blanchir les nuages aurait peut-être des vertus esthétiques, mais modifierait sensiblement le régime des précipitations. Les climatologues estiment notamment que les pluies augmenteraient au-dessus des continents mais pourraient diminuer au-dessus des océans. En ne refroidissant que des petites parcelles du globe (marines notamment), le blanchiment pourrait perturber certains phénomènes, comme la mousson d’Afrique occidentale, l’oscillation australe ou El Niño. Ce qui ne manquerait pas d’avoir des conséquences sur la flore et la faune marines.

Pour accroître l’albédo terrestre, d’ingénieux ingénieurs imaginent aussi de faire buller l’océan. Ce qui perturberait la pénétration de la lumière en profondeur ainsi que la faune et la flore sous-marines.

A priori, les techniques d’extraction de l’atmosphère du CO2 semblent avoir des effets plutôt positifs. Outre qu’elles permettraient de réduire la concentration du principal GES anthropique, elles réduiraient aussi l’acidification des océans, un phénomène menaçant nombre d’espèces de planctons, de mollusques, de coraux, voire de poissons (morues). Destinée à accroître la productivité du phytoplancton, la fertilisation des océans (par du fer, de l’azote ou du phosphore) n’est pourtant pas sans tristes conséquences. Seule technique à avoir été testée en situation, elle déséquilibre la production biologique d’une région marine par rapport à une autre. En accélérant les cycles biogéochimiques, elle contribue à produire d’importantes quantités de méthane (CH4) et de protoxyde d’azote (N2O), deux très puissants GES. Last but not least, elle renforce l’acidification des eaux profondes.

Des océanographes japonais suggèrent d’accroître les remontées d’eau (upwelling) des grands fonds marins vers la surface. Riches en nutriments, ces eaux froides ramenées vers la surface nourriraient des quantités toujours plus importantes de micro-plantes marines. Hélas, souligne le rapport, cet upwelling artificiel ferait aussi remonter le CO2 stocké dans les grands fonds et serait, lui aussi, à l’origine d’importants rejets de CH4 et de N2O.

Sur terre, des géochimistes imaginent de stocker, dans le sol, le dioxyde de carbone, en épandant des quantités industrielles d’olivine. La Royal Society britannique estime (en contradiction d’ailleurs avec le centre de recherche sur le climat de Postdam) qu’il est possible de séquestrer ainsi la totalité de nos émissions carbonées en épandant 7 kilomètres cubes d’olivine sur des champs. Ce silicate a la capacité d’absorber le CO2 atmosphérique pour former, après une lente transformation, un carbonate. Outre le caractère très improbable de produire annuellement 7 milliards de tonnes de silicate pure, le rapport de la CDB souligne que l’épandage d’olivine accroîtrait le pH des sols (affectant la biodiversité locale), des eaux telluriques et de l’océan.

Beaucoup plus sobre est la reforestation massive des terres dégradées. Cela permettrait non seulement de stocker du carbone, mais aussi de développer la valorisation de la biomasse. Problème : cette reforestation accélérée modifierait la nature des sols et réduirait le plus souvent (notamment sous les tropiques) la biodiversité. Difficile, en effet, de reconstituer un milieu aussi riche que la forêt tropicale.

Encore incomplet, le bilan écologique de la géo-ingénierie semble assez détestable. D’autant que ces techniques ne constituent nullement une réponse pérenne au réchauffement climatique. A supposer qu’elles puissent refroidir le climat, elles devraient être mises en œuvre sans arrêt pendant des siècles pour contrebalancer les conséquences de nos émissions (toujours croissantes) de GES.

Faute de quoi, soulignent les experts de la CDB, les températures moyennes globales, artificiellement baissées par la climatisation planétaire, pourraient, en quelques années, gagner le haut de la colonne de mercure. Avec des implications majeures pour la biodiversité. Et nos civilisations.

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