Le plan Cancer de François Hollande zappe les facteurs environnementaux
Le 04 février 2014 par Marine Jobert
Pesticides, perturbateurs endocriniens, radiofréquences… Politiques, scientifiques, institutions internationales et associations écologistes les évoquent de plus en plus souvent comme des causes plus que probables dans l’explosion du nombre de cas de cancer dans le monde. Mais François Hollande, qui vient d’exposer les grandes lignes du plan Cancer 2014-2018, n’en a guère parlé.
Le jour de la présentation du troisième plan Cancer 2014-2018 par François Hollande, l’Agence régionale de santé (ARS) de Languedoc-Roussillon annonce avoir décelé la présence dans l’eau potable de deux substances actives[1] (et surtout de leurs métabolites) interdites en France depuis 2003 et 2004. « Cette utilisation de pesticides interdits n’altère pas la qualité de l’eau de la région », précise l’ARS. Une affirmation qui ne laisse pas d’intriguer, quand les voix se multiplient parmi les associations, les politiques et les scientifiques pour que les facteurs environnementaux soient enfin pris en compte pour expliquer l’explosion des cas de cancer. Pour la seule année 2012, il y a eu 355.000 nouveaux cas et 148.000 personnes en sont mortes en France. Dans le monde, 14,1 millions de nouveaux cas de cancer ont été diagnostiqués et 8,2 millions de personnes en sont mortes. En 2025, il y aura 19,3 millions nouveaux cas par an sur toute la planète, prévoit le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), l’agence spécialisée de l’Organisation mondiale de la santé sur le cancer, qui publiait récemment de nouvelles données sur l’incidence, la mortalité et la prévalence du cancer dans le monde.
L’environnement au sens large
Mais qu’est-ce que l’environnement pour les cancérologues ? En 2013, le Comité de coordination inter-agences dédié au cancer du sein et à la recherche environnementale estimait qu’il s’agissait tout à la fois des modes de vie et des comportements individuels (absorption d’alcool ou activité physique), des agents chimiques auxquels les gens sont exposés (pesticides, polluants industriels, produits de consommation courante, médicaments), comme des facteurs physiques (radiations dans le milieu médical ou substances non chimiques), ou encore les influences culturelles, sociales et familiales. Une définition très large, qui n’a pas l’heur de faire l’unanimité dans le monde scientifique. Ainsi du rapport de préfiguration du plan Cancer rendu l’été passé par Jean-Paul Vernant[2], qui évoquait a minima les causes environnementales, au diapason de la stratégie nationale de santé, qui ne consacre pas une ligne à la qualité de l’air, à la qualité de l’eau potable, aux radiofréquences ou aux perturbateurs endocriniens.
Lien entre cancer et pollution
De tous ces sujets, il n’aura pas non plus été question dans le plan annoncé par le président de la République, qui a préféré consacrer l’essentiel des 1,5 milliard d’euros de budget à la résorption des inégalités sociales liées à la maladie. Seule concession de François Hollande : « Un tiers des cancers sont évitables, liés à l’environnement et aux comportements. Ces cancers sont trop nombreux dans notre pays et continuent à augmenter », a-t-il déclaré, se référant au tabagisme et aux risques professionnels. « Deux millions de travailleurs sont exposés à des produits chimiques cancérogènes. Il faut encourager les substitutions. »
« Face à l’explosion des cancers hormonodépendants, il faut accentuer la prévention environnementale et cesser de nier le lien entre cancer et pollution (chimique, atmosphérique, exposition des travailleurs, amiante, etc.), a réagi l’eurodéputée écologiste Michèle Rivasi dans un communiqué. Il est urgent que les responsables politiques européens, que ce soit au niveau de la Commission européenne ou des Etats membres, fassent montre d’une véritable ambition en matière de prévention des maladies liées aux comportements et à l’environnement. Et ce, quelles que soient les pressions exercées par des lobbies puissants comme les industries du tabac, de l’alcool, de la téléphonie mobile (ondes électromagnétiques), ou encore les industries chimiques et singulièrement celle de l’agro-alimentaire (pesticides) et des emballages (perturbateurs endocriniens comme le bisphénol A). » L’étiquetage transitoire des contenants avec du BPA pour les publics sensibles, pourtant obligatoire en France depuis le 1er janvier 2013, n’a toujours pas été mis en œuvre. Le Circ a classé les ondes électromagnétiques comme cancérigènes possibles et la pollution au plan mondial comme cancérigène avéré.
Interactions à étudier
Trois médecins spécialisés dans les liens entre cancer et environnement viennent de prendre la plume pour faire part de l’urgence à « penser autrement » le problème soulevé par l’explosion du nombre des cancers, notamment à cause de « l’absence de seuil [à partir duquel une substance produirait des effets identifiés] et du rôle des faibles doses ». Selon Thierry Philip (directeur du département Cancer et environnement au Centre Léon Bérard de Lyon), Francelyne Marano (présidente de la société française de santé environnement) et Béatrice Fervers (coordinatrice de l’unité Cancer et environnement au Centre Léon Bérard), « la perception des risques change, les citoyens acceptent les risques qu’ils peuvent contrôler (fumer ou ne pas fumer, s’exposer au soleil ou se protéger, faire ou ne pas faire de sport), alors qu’ils n’acceptent pas les risques qui leurs sont imposés comme la pollution de l’air, les pesticides dans l’alimentation, les risques au travail ».
C’est dans ce contexte mouvant que les médecins appellent à encourager « l’étude des expositions multiples aux interactions encore mal connues et la compréhension des effets et mécanismes impliqués, [qui] requiert des approches interdisciplinaires associant épidémiologie, méthodes spatiales, toxicologie, biologique moléculaire, génétique... (…) Certes, il faut soigner les malades (…) Penser autrement le lien entre cancer et environnement, ça commence à venir. Financer autrement la recherche et la prévention dans ce domaine, ça devient urgent », concluent-ils. Les annonces du jour ne sont pas de nature à les rassurer.
[1] La simazine et le terbuthylazin, dont les demi-vies (temps nécessaire pour que la moitié du produit soit éliminée) sont respectivement estimées à 2 ans et à 46 jours.
[2] Jean-Paul Vernant, professeur d’hématologie à la Pitié Salpêtrière (Paris)
Alain KALT (retranscription)
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