Environnement Lançonnais

L’inertie gouvernementale contre les nuages toxiques

lundi 24 mars 2014 par Alain KALT (retranscription)

Contre les nuages toxiques de particules fines, il aura fallu en mars 2014 attendre une semaine pour que le gouvernement se décide à prendre de timides mesures d’urgence. Pourquoi un tel retard ? Les ministres de l’écologie, de droite comme de gauche, se sont heurtés aux mêmes difficultés. « Il n’y a jamais eu vraiment de volonté politique de s’attaquer au problème », constate Corinne Lepage, titulaire du portefeuille de mai 1995 à juin 1997, dans le gouvernement d’Alain Juppé. « J’ai ouvert le bal en faisant voter la loi sur l’air du 30 décembre 1996, première transcription dans le droit français de la directive européenne sur la qualité de l’air, rappelle-t-elle. Cela aurait pu être une bonne loi, si… elle avait été appliquée, ce qui n’a jamais été le cas. » En cause, « la peur des politiques, gauche et droite confondus, face au poids des lobbies ».

Chantal Jouanno, secrétaire d’Etat à l’écologie, de janvier 2009 à novembre 2010, dans le gouvernement de François Fillon, déplore « la solitude » d’un ministre de l’environnement : « J’avais lancé un “plan particules” destiné à protéger les sites les plus sensibles (écoles, etc.). En tout et pour tout, je n’ai pu mobiliser que 30 millions d’euros, une peccadille. » La sénatrice UDI de Paris explique que « le ministère de la santé s’associe du bout des lèvres à ces démarches estimant que ce n’est pas de son ressort. Celui de l’industrie tient à protéger constructeurs automobiles et concessionnaires. Et à l’agriculture, pas question de remetttre en cause les techniques intensives… »

Delphine Batho, ministre de l’écologie de Jean-Marc Ayrault jusqu’en juillet 2013, n’est pas plus optimiste : « Les Français ont été incités par une fiscalité avantageuse à se tourner vers le diesel, mais ce choix se retourne aujourd’hui contre nous, en termes de santé publique mais aussi en termes industriels », observe la députée (PS) des Deux-Sèvres. « Dans mon ministère, je me suis heurtée à une inertie générale sur ce sujet. » Elle-même a renoncé, en septembre 2012, à mettre en place des « zones d’action prioritaires pour l’air ». Ces espaces visant à interdire aux véhicules les plus polluants l’accès aux centres-villes « contournaient le problème du diesel sans s’y attaquer, pénalisant les plus pauvres ».*

Tous ces ministres qui se plaignent de n’avoir pu agir, que n’ont-ils taper du point sur la table ? Remarquons que sous le gouvernement Hollande, les deux premières ministres socialistes de l’écologie (Bricq et Batho) ont été virées parce qu’elles avaient défendu leurs prérogatives en matière d’environnement contre le premier ministre.

D’où la passivité actuelle du troisième, Philippe Martin. Celui-ci ne veut pas entendre parler « d’écologie punitive » et de la taxation du diesel, « il ne sera pas question ». En fait l’important n’est pas le poids des lobbies ou la hantise des votes électoraux, c’est bien la conscience écolo du premier ministre et de son tuteur, le chef de l’Etat, qui prime. Dans la tête d’Ayrault/Hollande comme dans celle de Fillon/Sarkozy, l’écologie n’a pas la priorité qu’elle devrait avoir. Chantal Jouanno a été très claire sur cette question de la « cohérence » gouvernementale :

« Quand on doit expliquer que les restrictions budgétaires pour l’environnement, c’est normal, alors qu’on n’en pense pas un mot ? Quand on a des convictions, qu’on est ministre, mais que le gouvernement prend une décision avec laquelle on n’est pas d’accord, que faire ? On m’a fait venir au gouvernement en me disant « on veut une écolo moderne ». En fait, ils voulaient l’image, mais pas le son. Et moi, j’ai produit du son ! J’étais en désaccord avec le premier ministre François Fillon sur la construction du circuit de formule 1 dans les Yvelines, ou la taxe carbone, je l’ai dit. On me l’a reproché. « Maintenant que tu es ministre, tu n’es plus une militante, mais une politique » m’a dit François Fillon. Sous-entendu : tu dois savoir taire tes convictions. C’est castrateur d’être au gouvernement. on a le choix entre se taire, pour espérer faire avancer ses dossiers, ou dire ce qu’on pense et abandonner l’idée de peser dans l’action gouvernementale. »**

* LE MONDE du 15 mars 2014, Pollution de l’air : l’inertie de la France depuis vingt ans

** Télérama du 7 août 2013

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