Surexploitée, la Méditerranée boit la tasse
Le 19 janvier 2016 par Romain Loury
La mer Méditerranée n’est pas au bout de ses déboires : selon l’étude MedTrends, rendue publique lundi 18 janvier par l’association WWF, son exploitation, notamment pétrolière et touristique, va se développer tous azimuts au cours des 20 prochaines années. Seul perdante, la pêche professionnelle, dont le recul devrait se poursuivre.
C’est comme si l’expression « Mare Nostrum » prenait un nouveau sens : à force de nous appartenir, la nature y perd progressivement ses droits. Malmenée par la surpêche, la pollution d’origine terrestre, le transport maritime et le réchauffement climatique, la Méditerranée, l’un des 25 hotspots mondiaux de biodiversité, est déjà en bien piteux état. Et nul ne sait quand sa rapide dégradation prendra fin.
Dans un rapport publié lundi, l’association WWF dresse les perspectives de développement de plusieurs activités marines au cours des 20 prochaines années. Intitulé MedTrends, ce projet, mené sur les 8 pays européens bordant la Grande Bleue, révèle une forte croissance dans tous les secteurs. A l’exception de la pêche professionnelle, bridée par l’effondrement des stocks halieutiques, une tendance très nette depuis le milieu des années 1990.
A défaut de pêche, les amateurs de poissons pourront toujours se rabattre sur l’aquaculture méditerranéenne. Celle-ci est en plein boom, avec un taux annuel de croissance systématiquement supérieur à 8% au cours des 40 dernières années. Et elle devrait encore doubler en 2030 par rapport à 2010, avec une production supérieure à 600.000 tonnes/an.
Vers un quintuplement de la production gazière
L’exploration d’hydrocarbures a également de très beaux jours devant elle : selon les projections du WWF, la production pétrolière en mer pourrait augmenter de 60% en 2020 par rapport à 2010, tandis que la production gazière devrait quintupler en 2030 par rapport à 2010.
Actuellement, 23% de la surface méditerranéenne est couverte par des contrats d’exploration, et 21% additionnels pourraient bientôt être concernés (zones ouvertes à l’exploration, appels d’offre). Si le gros de l’exploitation, pétrolière et gazière, s’effectue en Egypte, l’Italie, dotée d’une centaine d’installations gazières dans l’Adriatique, est le premier pays européen en la matière, suivi de loin par l’Espagne.
Haut lieu du transport maritime, aussi bien de marchandises que de passagers, la Méditerranée devrait s’embouteiller encore plus. Le commerce international devrait augmenter de 4% par an au cours de la prochaine décennie, les croisières touristiques de 10%. En mer ou sur la plage, le tourisme va poursuivre sa croissance : première destination mondiale, la Méditerranée devrait connaître 60% plus de visiteurs en 2030 qu’en 2010, dépassant ainsi le seuil des 500 millions.
Conséquence directe de cet afflux de vacanciers, mais aussi d’une forte croissance démographique, le littoral se peuplera toujours plus : la population locale pourrait augmenter de 5% dans les pays européens bordant la Méditerranée entre 2010 et 2030, voire jusqu’à 44% en Jordanie et 59% en Palestine sur la même période. Ce qui va pousser un peu à l’artificialisation du littoral, qui touchera 5.000 km de plus en 2025 par rapport à 2005.
L’exploration minière, de lointains projets
A plus long terme, l’exploitation minière sous-marine pourrait aussi se développer en Méditerranée. WWF évoque notamment l’identification de gisements de sulfure à proximité des littoraux italien et grec, respectivement près de la Calabre et en mer Egée. Quant aux énergies renouvelables, dont l’expansion est pour l’instant limitée, l’éolien offshore pourrait produire jusqu’à 12 gigawatts dans les pays méditerranéens de l’UE d’ici 2030. Un développement souhaitable d’un point de vue climatique, mais qui pourrait avoir des effets néfastes localement, notamment en termes de bruit sous-marin.
Parmi les rares bonnes nouvelles de MedTrends, une atténuation de la pollution terrestre, au moins pour les pays membres de l’UE et pour quelques polluants : moins d’eaux usées, moins de polluants organiques polluants (POP), moins de mercure et de plomb. En revanche, les rejets de nutriments, dont les nitrates et les phosphates issus de l’agriculture, « devraient légèrement augmenter dans les 15 années à venir », prévoit le WWF.
Reste à savoir comment tous ces secteurs en forte croissance s’accommoderont les uns des autres. Selon l’association, le risque de conflits est grand, par exemple entre aquaculture côtière, source de pollution organique, et tourisme, ou encore entre exploitation d’hydrocarbures et transport maritime.
Ces tendances concurrentes ne vont pas pousser à la mise en place d’aires marines protégées (AMP) : « il est hautement probable que l’expansion des activités des secteurs maritimes et le renforcement de la concurrence spatiale aient pour effet de ralentir, voire d’entraver, le processus de désignation de nouvelles AMP », juge le WWF.
Avec 3,21% de la surface méditerranéenne protégée en 2015, contre 1,08% en 2010 (hors sanctuaire Pelagos), « il est peu probable que le seuil de 10% soit atteint en 2020 », selon l’objectif 11 d’Aichi fixé par la Convention sur la diversité biologique (CBD).
Alain KALT (retranscription)
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