Transition énergétique : le lobby bancaire défend son pré carré
Une des principales innovations financières liées à la transition énergétique (dont la loi sera présentée la semaine prochaine mais ne devrait pas être adoptée avant le printemps 2015) est aujourd’hui bloquée par le monde bancaire. Les mésaventures du tiers financement illustrent à merveille le conservatisme des institutions face aux enjeux écologiques. Son principe est simple : faire payer le coût des travaux de rénovation thermique dans un logement par les économies de chauffage qu’ils permettent. Concrètement, une copropriété signe un contrat avec un opérateur qui coordonne la rénovation thermique (toiture, fenêtres, façade…) de son bâtiment, et règle une partie des coûts aux artisans du chantier. En échange, les habitants lui versent l’équivalent de ce qu’ils ne dépensent plus en facture. La région Île-de-France a créé en 2013 la première société d’économie mixte (SEM) dédiée au tiers financement pour la rénovation énergétique, la SEM Energies POSIT’IF.
Des structures équivalentes ont vu le jour en Picardie, à Brest, en Rhône-Alpes. Le Nord-Pas-de-Calais annonce la sienne pour l’automne prochain. Et des SEM de ce type sont à l’étude en Alsace, en Poitou-Charentes et en Paca. La loi ALUR sur l’accès au logement, votée en février, reconnaît l’existence de sociétés de tiers financement (en son article 124), marquant ainsi leur véritable acte de naissance institutionnel. La directive européenne sur l’efficacité énergétique demande aux États de supprimer les obstacles au tiers financement. Depuis sa création, la SEM Energies Posit’if a déjà signé avec quatre copropriétés pour rénover 1 200 logements.
Officiellement, tout le monde trouve cela formidable. François Hollande a ouvert la conférence environnementale de septembre 2013 en annonçant qu’« un dispositif de tiers financement des travaux de rénovation thermique sera créé ». En mars, un communiqué du conseil des ministres expliquait que le tiers financement est un « moyen de remplir les objectifs ambitieux que porte le gouvernement en faveur de la transition écologique et énergétique ». Toute nouvelle ministre de l’écologie, Ségolène Royal souhaitait en avril « une ingénierie financière efficace et accessible à tous pour permettre aux ménages aux revenus modestes et moyens de financer les travaux d’isolation sans avoir à en débourser le coût immédiat car ils n’en ont guère les moyens malgré l’impact positif sur la baisse des charges ».
Jusqu’ici tout va bien. En apparence seulement. En réalité, presque tout le système est bloqué : l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution, l’ACPR, l’organe de supervision de la banque et de l’assurance en France, considère en effet que le tiers financement contrevient au monopole bancaire sur le crédit, garanti par le code monétaire et financier.
Dans une lettre adressée à l’opérateur francilien en février 2014, son directeur explique ainsi que « les opérations de crédit sont des opérations de banque relevant du monopole des établissements de crédit et des sociétés de financement », et que ni la directive européenne sur l’efficacité énergétique, ni la loi ALUR « ne créent d’exception permettant de déroger au monopole bancaire en matière de tiers financement ».
En réalité, c’est une volte-face. Dans un premier temps, en 2013, l’autorité avait envisagé que la SEM Energies Posit’if bénéficie des exceptions légales au monopole bancaire, à la condition de sous-traiter les travaux aux artisans retenus. Ce fut chose faite. Mais l’ACPR a ensuite soulevé une autre objection : la période excessive des remboursements, de 20 à 25 ans. Impossible de réduire ce délai, consubstantiel à l’idée même de tiers financement. Aucune solution de compromis n’a émergé pour l’instant.
Placée sous l’autorité de la direction générale du Trésor, l’ACPR dit adopter l’interprétation de sa tutelle – sollicitée par Mediapart, elle n’a pas répondu à nos questions. Elle s’appuie sur un rapport de la Caisse des dépôts et consignation qui considère qu’il est nécessaire de « clarifier le statut des structures de tiers financement au regard du monopole bancaire » et que « le champ du monopole bancaire n’est pas définitivement réglé ».
Or la Caisse des dépôts est tout sauf un acteur neutre du débat : investisseur majeur dans le secteur du logement, elle défend une autre vision, beaucoup plus classique, du financement de la transition énergétique : la création d’un fonds de garantie pour les banques, reprise par François Hollande. Tout en étant actionnaire de la SEM francilienne, elle semble frileuse à la perspective de l’éclatement des sources de financement de la rénovation des bâtiments.
Le président de sa filiale « climat », spécialisée dans la finance carbone, Pierre Ducret a déclaré le 16 avril devant la commission des finances du Sénat que « les banques ont pour vocation de distribuer des crédits et, qu’en conséquence, elles doivent rester le circuit de financement privilégié des prêts à la rénovation thermique ». Et aussi que« concernant les SEM, des initiatives très intéressantes d’aide à la rénovation énergétique des logements se développent actuellement au niveau local mais elles ne peuvent, à mon sens, constituer un dispositif généralisable de financement (…) Même si elles offrent une grande valeur ajoutée, les SEM ne peuvent se transformer en établissements de crédit ».
Le lobby bancaire défend son pré carré.
Pourtant, des paiements différés et des formes de crédits, il en existe pléthore dans le commerce, comme tout consommateur peut le constater : achat en trois, quatre, dix fois sans frais ; il en existe même un spécifique pour l’installation et l’entretien de chaudières (contrats « P4 »). Et ce ne serait pas possible pour économiser de l’énergie ? En avril, les présidents des régions Île-de-France, Nord-Pas-de-Calais, Picardie et Rhône-Alpes ont écrit à Ségolène Royal pour lui demander de sauver le tiers financement dans la loi de transition énergétique. À quelques jours de la présentation du projet législatif, très attendu, rien ne l’assure.
Contactés pour cet article, l’ACPR et le ministère de l’écologie n’ont pas répondu à mes questions. Des responsables de SEM ont en revanche accepté de me parler mais, pour ne pas se mettre à dos le monde bancaire, en préférant ne pas être cités.
Alain KALT (retranscription)
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