Environnement Lançonnais

Gaz de schistes : Christian Huglo, Avocat à la Cour, Docteur en Droit, Avocat fondateur du Cabinet Huglo Lepage & associés, décrypte la décision du Conseil Constitutionnel afin de bien préparer l’avenir.

lundi 21 octobre 2013 par Alain KALT (retranscription)

Il est certain que si la décision du conseil constitutionnel avait été d’annuler la loi Jacob, les commentaires de la presse auraient été plus abondants et beaucoup plus détaillés. Aujourd’hui, il faut être un habitué du sujet pour mieux décrypter la décision du Conseil Constitutionnel afin de bien préparer l’avenir. Examinons successivement ces deux questions dans une perspective dynamique.

De la dangerosité de la fracturation hydraulique

Tout d’abord, la décision du Conseil Constitutionnel doit se lire entre les lignes ; elle indique globalement qu’en l’état actuel des connaissances et des techniques, les principes de prévention et d’intervention à la source qui, seuls, avaient été retenus dans la loi Jacob suffisaient à justifier une mesure d’interdiction pérenne et cela, compte tenu des risques évidents pour l’environnement qui sont à la source de l’intervention de la loi.

Se trouve ainsi contredite l’audacieuse affirmation des pétroliers selon laquelle aucune étude ne démontrait la dangerosité de la fracturation hydraulique. Or, il suffisait de consulter la littérature américaine sur le sujet, de dresser une liste des procès pour environnement aux États-Unis y compris pour les questions liées aux risques sismiques pour bien apprécier la portée.

Les documents extérieurs à la France, du Parlement Européen par exemple, sont éloquents et ne pouvaient permettre de développer facilement un certain négationnisme. La consultation des débats et des rapports parlementaires étaient suffisamment éloquents. Ceci veut dire qu’en l’état actuel, et seulement en l’état des connaissances, l’idée même de l’exploration encore moins de l’exploitation du gaz de schiste par la fracturation hydraulique est effectivement condamnée.

Les autres arguments retenus par le Conseil Constitutionnel sont des plus classiques mais importants ; il affirme qu’il ne saurait y avoir, quelle que soit la polémique, de comparaison possible entre la technique et surtout la finalité de la recherche de gisements dans le domaine de la géothermie et la recherche d’HNC par la fracturation hydraulique destinée à chasser vers la surface des gaz emprisonnés dans la roche.

De même l’argument-de l’atteinte au principe de la liberté d’entreprendre invoqué ne pouvait résister à l’examen : il y a longtemps que la doctrine la plus sérieuse a démontré que les lois faites pour l’environnement ne sont pas faites simplement pour le seul plaisir de protéger l’environnement en tant que tel mais bien parce que l’atteinte à l’environnement peut limiter aussi des activités d’intérêt équivalent à par exemple d’autres activités industrielles et surtout ici en l’espèce l’activité liée au développement et au maintien de l’activité agricole dans des zones qui sont particulièrement riches et importantes pour le quotidien comme pour l’avenir.

Le Conseil Constitutionnel ajoute deux éléments intéressants dans sa décision mais qui n’ont pas toujours été appréciés correctement :

Le premier est tiré de ce que « les autorisations de recherche minière accordée dans des périmètres définis pour une durée limitée ne peuvent être assimilées à des biens objet pour leurs titulaires d’un droit de propriété ». ce texte du considérant numéro 17 de la décision est fondamental ; il fait obstacle, à notre sens à toute chance d’aboutir à d’éventuelles réclamations pécuniaires de la part des pétroliers qui, à un moment donné, ont obtenu il est vrai des autorisations et qui, a un autre, se sont vus retirer ces mêmes autorisations.

Le point de savoir si des autorisations administratives sont des droits peut être discuté dès lors que ces droits ont une valeur patrimoniale ; mais encore faut-il savoir comment ces droits ont été acquis : ici, ils l’ont été sans déclaration sur les risques pour l’environnement, sans étude d’impact sans contrôle avec tous les avantages pour les titulaires et tous les inconvénients pour le patrimoine commun de la nation que constitue son sous-sol.

Application du principe de précaution

Le deuxième élément important concerne la partie de la décision sur l’application ou non du principe de précaution, invoquée par le pétrolier qui en avait fait son cheval de bataille : on se rappelle que l’argumentation était fondée sur l’idée que dès lors que l’on se trouve dans une situation où les risques sont inconnus, le principe de précaution impose de ne prendre que des mesures provisoires et temporaires, ce qui n’est pas une loi qui vise à interdire. Le Conseil Constitutionnel n’est pas tombé dans le piège tendu par le requérant ; en effet en l’espèce les risques pour l’environnement, voire même la santé (surtout à notre avis des risques sismiques puisque les forages avaient été envisagés dans plusieurs cas à moins de 50 km de centrales nucléaires) n’avaient pas été mesurés et surtout appréciés en l’absence de toute étude d’impact obligatoire sur le sujet.

Par conséquent, on ne pouvait pas discuter sérieusement de l’application ou non du principe de précaution et le conseil constitutionnel a eu raison de claquer la porte de la discussion sur ce sujet.

Il faut ajouter d’ailleurs que si des éléments factuels scientifiques ou techniques avaient été correctement mis en avant, le Conseil Constitutionnel aurait pu en apprécier l’intérêt et surtout la portée car il aurait pu en vertu de sa jurisprudence 2008 sur les OGM réaffirmer que le principe de précaution ne fait pas obstacle par nature et par définition à l’application d’une règle d’interdiction.

La France n’est pas isolée en Europe

Tout ceci est important pour l’avenir car d’abord, contrairement à ce qui a été un peu trop légèrement soutenu, la France n’est pas dans une position isolée au niveau de l’Europe sur le moratoire pour le gaz de schiste car c’est bien d’un moratoire dont il s’agit. En effet, pour l’instant, trois autres Etats en Europe ont adopté la même position.

Mieux encore, le Parlement européen vient de voter deux amendements à la directive 2011/92 traitant d’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement en cours de révision, qui vise à inclure les hydrocarbures non conventionnels (gaz et schiste bitumineux, gaz et réservoir étanche méthane de houille, défini en fonction de leurs caractéristiques géologiques à l’annexe 1 de la directive 2011/92, indépendamment de la quantité extraite ; de sorte que les projets concernant ces hydrocarbures devraient enfin être systématiquement soumis à une évaluation de leur incidence sur l’environnement.

L’Europe a cette chance de pouvoir s’organiser pour reprendre le dossier avec sérieux.

On ne peut pas transposer en France une technique d’extraction qui s’est déroulée dans un Etat extrêmement vaste comme le sont les États-Unis avec plus de 7 millions de kilomètres carrés alors que chez nous, et en majeure partie en Europe, les zones dans lesquelles l’exploitation paraît possible sont des zones de culture intensive et en même temps des zones de ressources en eau. Il a fallu 500.000 forages aux États-Unis pour avoir une production conséquente ; imaginons l’effet de seulement 1.000 forages en France ! Il était donc prudent et sage d’attendre que les techniques évoluent. Elles évolueront et n’est pas interdit de songer à imaginer de chercher à procéder à des essais expérimentaux sous contrôle public, mais qui le veut vraiment ?

Enfin, il faut savoir que dans l’état actuel des choses selon les économistes les mieux avertis, que les avantages économiques du gaz de schiste dans le marché mondial s’atténueront considérablement en 2017. Alors, pourquoi se précipiter sans retard dans une voie où la rentabilité n’est pas assurée. Il est évident que c’est aussi une telle réflexion qui a conduit à la décision du Conseil Constitutionnel : la porte n’est pas fermée, le dossier doit être ouvert sans précipitation et notamment non seulement autour d’une législation européenne à reconstruire et surtout en France autour d’un code minier qui se fait attendre et sur lequel le public, avec l’outil du principe de participation, aura beaucoup à dire. Pourquoi ne pas commencer une conférence de consensus ? pourquoi ne pas modifier la loi sur le débat public pour mettre enfin le dossier au grand jour, sans passion excessive qui n’est pas de mise en l’espèce ?

Alors travaillons !

(Source : Christian Huglo, Avocat - Actu-Environnement - le 14 octobre 2013)

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