Environnement Lançonnais

La grande muette parle enfin des changements climatiques

dimanche 8 mai 2016 par Alain KALT (retranscription)

Le 15 octobre 2015 par Valéry Laramée de Tannenberg

Pour le CEMA (Chef d’Etat Major des Armées), Pierre de Villiers, le changement climatique va accroître nature et volumes des missions.

Pour les militaires, le réchauffement est désormais synonyme de nouvelles missions. Les gouvernements sont donc priés d’augmenter les crédits.

Il aura quasiment fallu attendre l’ouverture de la COP 21 pour que l’armée française présente un semblant de doctrine climatique. Ça n’est pas trop tard. Mais, en ce domaine, la Grande muette n’est pas dans le peloton de tête. Depuis une quinzaine d’années, des think tanks proches du Pentagone[1] s’activent.

En octobre 2003, les prospectivistes Peter Schwartz et Doug Randall livrent une note sur le caractère belligène du changement climatique. « Avec plus de 200 bassins fluviaux communs à de multiples nations, il faut s’attendre à des conflits pour l’accès à l’eau potable, pour l’irrigation et le transport fluvial. Le Danube touche 12 nations, le Nil en concerne 9 et l’Amazone 7 », rappelaient-ils.

Quand les généraux s’en mêlent

Au même moment, l’Oxford Research Group britannique s’inquiète des conséquences stratégiques des bouleversements annoncés du régime des pluies : « Cela fera baisser la productivité des terres arables et diminuera la production alimentaire. La Chine et l’Inde devraient en être profondément affectées ; ce qui ne manquera pas d’avoir des conséquences nationales et régionales. »

Quatre ans plus tard, 11 officiers généraux US fustigent l’inactivité de l’administration Bush et signent un vibrant appel publié par la CNA Corporation : « Comme chefs militaires, nous savons qu’il ne faut pas attendre la certitude pour passer à l’action. S’interdire d’agir parce que le signal reste imprécis est inacceptable », écrivent-ils.

L’Amérique passe à l’action

Depuis, l’Amérique est passée à l’action. Et désormais, le changement climatique et ses conséquences sont une priorité stratégique pour l’armée américaine et le secteur US de l’armement. Comme souvent, le Royaume-Uni a suivi son partenaire transatlantique. Récemment, le ministère britannique de la défense (MoD) a évalué la vulnérabilité des infrastructures militaires de sa Majesté aux conséquences du Global Warming. Résultat : le MoD et 13 des principales bases terrestres, navales et aériennes du Royaume-Uni risquent d’ici 2020 d’être régulièrement inondés par les pluies torrentielles ou par la montée des eaux. L’eau n’est pas tout. Les climatologues sont formels, Albion ne sera pas épargnée par les futures vagues de chaleur. « Voilà pourquoi nous avons adapté la motorisation de nos hélicoptères lourds Chinook pour qu’ils puissent voler par haute température », indique Julian Brazier, secrétaire à la défense britannique.

Le coup de pied de la sénatrice écolo

En France, le climat était officiellement un non-sujet pour les militaires. Jusqu’à ce qu’une sénatrice Europe Ecologie-les Verts (EELV) donne un bon coup de pied dans la fourmilière kaki. Voilà des mois que Leila Aïchi alerte sur les implications stratégiques de l’accroissement du nombre d’événements extrêmes, la fonte des glaces de mer en Arctique ou la diminution des rendements agricoles. « En diminuant l’accès à l’eau potable, à l’énergie, en réduisant la surface des terres arables, les changements climatiques seront la source de nouveaux conflits dans les années à venir. Or ces sujets sont absents du Livre blanc de la défense. A l’heure où nous votons les moyens accordés à la défense, il n’est pas acceptable de ne pas prendre en compte ces nouvelles problématiques », expliquait-elle au JDLE.

Financer l’armée : une mesure d’adaptation ?

Le message a fini par être entendu par le ministre de la défense. Mercredi 14 octobre, le temps d’un colloque à l’Ecole militaire, Jean-Yves Le Drian a réuni plusieurs de ses alter ego pour causer climat et défense. Une première française !

Pour les observateurs attentifs, cette réunion galonnée n’a pas été riche en scoop. Venant, peut-être, plaider leur soutien à la COP 21, nombre de ministres de nations en développement ont rappelé combien leur pays respectif était déjà sous la coupe du réchauffement. Le ministre haïtien de la défense n’hésitant pas à appeler au financement de son armée. Pas sûr que cela entre dans le cadre de la COP 21 ou de l’aide au développement.

Les mafias des ressources naturelles

Ibrahim Thiaw a mis en exergue des conséquences inattendues du réchauffement. Reconnaissant que le phénomène est un accélérateur de conflit, le directeur exécutif adjoint du Pnue[2] souligne que 40% des guerres inter-étatiques sont liées à l’accès aux ressources. « Or, dans de nombreuses régions, les changements climatiques vont limiter cet accès aux ressources naturelles. » Pour le plus grand profit d’organisations criminelles qui, dans certains pays à l’Etat faible (en Amérique latine, notamment), ont mis la main sur l’exploitation des forêts et des mines. « Aujourd’hui, le trafic de ces ressources représente un chiffre d’affaires annuel de 213 milliards de dollars [186,6 Md€], soit 164% du montant de l’aide au développement », se désole l’ancien directeur général de l’UICN[3].

Les deux mamelles du terrorisme

Au Niger, explique Mahamadou Karidjo, « le front des cultures recule d’une dizaine de kilomètres par an ». A cette avancée du désert s’ajoute l’explosion démographique : deux facteurs de paupérisation de la population. Deux facteurs qui expliquent aussi l’inquiétant développement des mouvements terroristes dans la région sahélienne, poursuit le ministre nigérien de la défense. « Pour lutter efficacement contre cette insécurité, les forces armées doivent voir leur mission évoluer, notamment en protégeant l’environnement », estime Joël Benaïndo Tatola, ministre tchadien de la défense.

Nouvelles missions

De nouvelles missions pour les armées ? Oui, répond sans hésiter Abdeltif Loudyi. « Le changement climatique assigne de nouvelles missions aux forces de sécurité », confirme le ministre chargé de l’administration de la défense du Maroc. Dans le royaume chérifien, l’armée devra encadrer la « transhumance humaine », intensifier la lutte contre les incendies de forêt et tenter de stopper l’avancée du Sahara. Au Gabon, les forces armées participent désormais à la protection des forêts. Il est vrai que le pays aux 13 parcs nationaux entend monnayer l’efficacité de ses puits de carbone forestiers contre des crédits carbone.

Dans cette période de disette financière, Pierre de Villiers a bien intégré l’enjeu climatique. « Les effets des changements climatiques risquent d’accroître la nature des missions confiées aux forces armées, ainsi que leur volume. Et à nouvelles missions, moyens nouveaux », résume le chef d’état major des armées. A bon entendeur…

[1] Le ministère de la défense américain.

[2] Pnue : Programme des Nations unies pour l’environnement

[3] UICN : Union internationale pour la conservation de la nature

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