Environnement Lançonnais

Un OGM peut en cacher un autre

lundi 14 mars 2016 par Alain KALT (retranscription)

Le 03 avril 2015 par Romain Loury

Des crypto-OGM dans nos champs ? Fin mars, neuf associations ont déposé un recours devant le Conseil d’Etat afin d’obtenir un moratoire sur les variétés rendues tolérants aux herbicides (VrTH). Problème, elles ne sont pas considérées comme des OGM, du fait qu’elles sont obtenues par mutagénèse, et non par transgénèse.

« Nous sommes dans la même situation qu’en 1998 », haute époque de la lutte contre les OGM, estime Patrick Rivolet, porte-parole de l’Appel de Poitiers [1]. Cette fois-ci, il ne s’agit pas de plantes transgéniques, mais de variétés obtenues par mutagénèse, les VrTH.

En bref, les mutations sont provoquées non pas de manière ciblée comme avec les OGM « classiques », mais de manière aléatoire par un traitement physique ou chimique. Le caractère d’intérêt, en l’occurrence une tolérance à un herbicide, est ensuite sélectionné parmi les divers mutants obtenus au hasard. Or dans la législation européenne sur les OGM, la mutagénèse fait l’objet d’une exemption –avec une autre technique, celle de la fusion cellulaire. Dès lors, elle n’est pas concernée par la directive n°2001/18 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement.

Bilan : les variétés VrTH ne sont pas considérées comme des OGM, et ne sont pas régulées comme telles. Pourtant, les risques seraient tout aussi importants, craignent plusieurs associations, qui s’en inquiètent depuis 2010.

Des « éponges à pesticides »

Dans une tribune publiée le 20 mars dans le quotidien Libération, 44 personnalités scientifiques et associatives les qualifient de « véritables éponges à pesticides ». Ce qui semble bien peu compatible avec les objectifs affichés du plan Ecophyto, dont la version remaniée prévoit de réduire l’usage de pesticides de 50% d’ici 2025.

Comme pour leurs cousins OGM, les experts évoquent des risques de contamination génétique de l’environnement, et d’expansion des adventices résistantes. Les VrTH « échappent à toute évaluation sur l’environnement, la santé, à toute obligation d’étiquetage, de traçabilité et d’information des utilisateurs et des consommateurs », déplorent-ils.

C’est avec le tournesol que la technique s’est d’abord fait connaître, avec la variété Express’Sun de Pioneer. Pour Inf’OGM, « il est extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, de connaître les surfaces cultivées avec ces variétés mutées. En 2013, 20% des cultures de tournesol étaient déjà rendues tolérantes aux herbicides. Le ministère de l’agriculture, lui, nous a précisé que 17.000 hectares de colza [Clearfield de BASF, ndlr] et 110.000 hectares de tournesol rendus tolérants à un herbicide ont été semés en 2014, sans vouloir nous préciser ses sources » [2].

« Si le colza explose de la même façon que le tournesol, nous serons face à un dossier que plus personne ne pourra maîtriser : nous sommes sciemment en train de fabriquer du risque », juge Patrick Rivolet. Les vifs débats sur les OGM nous l’ont appris : le colza, dont la graine, légère, se disperse au loin, se croise facilement avec d’autres brassicacées (moutarde des champs, ravenelle, rapistre, etc.), au risque de voir la mutation fuiter massivement dans l’environnement.

Ministères, Matignon puis Conseil d’Etat

Après « avoir rencontré les ministères de l’agriculture et de l’écologie à huit reprises ces deux dernières années », les associations ont envoyé mi-décembre 2014 un courrier au premier ministre Manuel Valls. Sans réponse : lors d’un rendez-vous mi-mars, son cabinet affirmait même ne pas en avoir eu vent, « une stratégie d’enfarinage », grince Patrick Rivolet.

Dès lors, les neuf associations [3], sous l’égide de l’Appel de Poitiers, ont déposé fin mars un recours devant le Conseil d’Etat pour absence d’évaluation des VrTH, réclamant « un moratoire immédiat » pour la vente et la mise en culture du colza issu de ces variétés. Interrogé sur l’argumentaire juridique d’une telle demande, Patrick Rivolet évoque notamment l’« incohérence »avec la législation européenne sur les semences, qui impose de prouver l’absence de risque pour toute nouvelle variété.

Interrogé sur les raisons de ce blocage, le porte-parole de l’Appel de Poitiers considère que Matignon « ne veut pas arbitrer entre les ministères de l’agriculture et de l’écologie ». Si ce dernier« prend en compte nos arguments », le premier y serait bien moins réceptif. « Le lobby des phytosemenciers a fait son boulot », ajoute-t-il.

Suite aux diverses réunions avec les ministères, ceux-ci auraient saisi le Haut conseil des biotechnologies (HCB) et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), affirme Patrick Rivolet. En 2011, une expertise collective du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de l’institut national de la recherche agronomique s’était montré pour le moins réservé face aux VrTH.

[1] Lancé en juin 2012 par 16 associations, l’Appel de Poitiers est un collectif visant à protéger les pollinisateurs et la biodiversité, à changer les pratiques agricoles et à faire reconnaître les droits des paysans.

[2] Selon des chiffres publiés en décembre 2014 par le ministère de l’agriculture, le colza est cultivé sur 1,5 million d’hectares, le tournesol sur 658 000 hectares.

[3] Ces associations sont Les Amis de la Terre, la Confédération paysanne, le Collectif vigilance OGM de la Charente, Vigilance OGM 33, Nature & Progrès, le Réseau semences paysannes, le Comité de soutien aux faucheurs volontaires du Maine et Loire, OGM dangers et Vigilance OG2M.

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