Faut-il abolir la pollution ?
Interdire toutes les contaminations de l’environnement : une idée si naïve vous fait sourire ? Et si ce combat était du même ordre que celui des militants contre l’esclavage ? Le consultant Yannick Roudaut explique pourquoi. Yannick Roudaut est codirigeant de l’agence de conseil en développement et stratégie durable Alternité. Il est l’auteur de La Nouvelle controverse (Editions La Mer Salée, 2013).
« La pollution atmosphérique est aussi nocive que le tabagisme passif. » En publiant ces données le 24 novembre dernier, le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) nous place face aux conséquences de notre modèle économique. Combien d’enfants asthmatiques, combien de décès dus à une insuffisance respiratoire, combien de cancers faudra-t-il encore supporter pour que la pollution devienne inacceptable ?
Dans une économie dopée aux énergies fossiles dont l’extraction et la combustion génèrent des pollutions, aucun responsable économique n’envisage sérieusement sa suppression, tant la question lui paraît absurde. Imaginer une société sans pollution est techniquement et culturellement inconcevable. Comment pourrions nous faire autrement ? Nos voitures, nos logements, les produits que nous consommons quotidiennement, les plastiques sont tous émetteurs – directement ou indirectement – d’une pollution de l’eau, des sols ou de l’atmosphère. Même les produits dits écologiques sont transportés dans des camions circulant au gazole, camions eux-mêmes fabriqués à partir de matériaux issus de processus industriels polluants. Bannir la pollution serait donc synonyme d’effondrement de nos économies modernes. La remettre en cause relève donc de l’irresponsabilité. CQFD.
L’insoutenable légèreté de nos comportements
Mais qui est vraiment irresponsable ? Faisons un petit saut en arrière. Entre le XVIe et le XVIIIe siècle, personne n’envisageait une exploitation des Amériques sans le recours à l’esclavage. En l’absence de mécanisation des tâches agricoles, il fallait des bras pour exploiter le Nouveau Monde. Un homme d’affaires avisé investissait d’ailleurs dans le commerce triangulaire sans se soucier des souffrances humaines de la traite des Africains. Les conséquences « collatérales » de cette exploitation humaine étaient considérées comme un mal nécessaire. Et cela n’était pas négociable. Une économie sans esclaves était inconcevable ! Tout cela semblait si naturel. C’est pourquoi les premiers abolitionnistes ont eu tant de difficultés à se faire entendre. Ils s’attaquaient à une certitude solidement ancrée. Pourquoi remettre en cause une vérité historique ? Les abolitionnistes étaient raillés, méprisés, jugés irresponsables par leurs contemporains, car ils prônaient un modèle de société qui relevait de l’utopie pour le plus grand nombre. Quelques décennies plus tard, cette vision de l’économie basée sur l’exploitation humaine suscite le dégoût.
En ce début de XXIe siècle, nous commettons de nouveau une erreur impardonnable aux yeux des générations futures. Notre incapacité à nous projeter dans un monde différent, où les activités humaines ne seraient plus destructrices de la nature mais bienveillantes, nous empêche de sauter le pas. Nous acceptons la pollution, sous toutes ses formes (air, eau, sols…) comme un mal nécessaire. Pas de croissance sans pollution ! C’est un dogme non négociable. C’est une vérité acquise avec laquelle nous nous accommodons tous. Nos enfants nous considérerons comme les nouveaux maitres esclavagistes.
En finir avec « l’esclavage environnemental »
Si l’esclavage a été aboli, c’est en partie grâce à une révolution technologique sans précédent : l’invention de la machine à vapeur à la fin du XVIIIe siècle, laquelle a permis la mécanisation de l’agriculture. Cette rupture technologique a donné lieu à la première révolution industrielle. Elle a été l’un des catalyseurs de l’abolition de l’esclavage aux Etats-Unis.
Aujourd’hui, une nouvelle rupture technologique et philosophique est en cours. Des citoyens et des entreprises explorent de nouvelles sources d’énergie, de nouveaux moyens de propulsion, de nouveaux matériaux dans l’habitat, de nouvelles formes d’agriculture… Tous partagent la même vision : faire mieux avec moins afin de créer des richesses, tout en préservant la qualité de vie et le patrimoine de nos enfants. Toutes ces initiatives ménagent le vivant en tentant de réduire la pollution à zéro. Que l’on parle d’« économie circulaire », de « biomimétisme », d’« économie de la fonctionnalité », toutes ces approches complémentaires et interdépendantes partagent une vision commune : produire, consommer, vivre sans polluer et sans renoncer au bien-être des individus. Ces inventeurs revisitent notre modèle économique et social en envisageant simplement de faire « avec » et non plus « contre » ou « sans » la nature. Les innovations sont nombreuses et les créations d’emplois seraient tout aussi importantes si nous acceptions de nous emparer de ces « nouvelles machines à vapeurs ». Le frein n’est pas financier – il n’y a jamais eu autant d’argent dans la sphère financière qu’en 2014 – ni technique : il est psychologique. Ces nouvelles « machines à vapeur » nous ouvrent les portes d’une nouvelle révolution. Non pas une troisième révolution industrielle, mais une révolution économique et sociale basée sur un sursaut philosophique : la nécessaire réconciliation de l’être humain avec le vivant. Ouvrons un nouveau débat. Abolissons la pollution. L’économie et l’homme s’en porteront mieux.
Alain KALT (retranscription)
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