Transition énergétique : une ambition inachevée
Le 15 mai 2017 par Valéry Laramée de Tannenberg
L’importance du nucléaire français freine le développement des énergies renouvelables.
Ségolène Royal a porté sur les fonts baptismaux la loi sur la transition énergétique. Mais son action, au quotidien, a manqué de cohérence.
Entamé il y a trois ans, le ministère de Ségolène Royal restera marqué par l’adoption de la loi sur la transition énergétique. Considérable[1], ce texte issu du débat national initié par Delphine Batho, sa prédécesseure, encadre la politique énergétique nationale pour les prochaines décennies. C’est du moins sa finalité. Dans les faits, la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) a été sévèrement dévorée par les mites de la realpolitik.
Des objectifs ambitieux
Anticipant l’adoption du paquet européen Energie Climat 2030, le texte impose la réduction de 40% des émissions de gaz à effet de serre (GES) entre 1990 et 2030, la réduction de la demande énergétique finale de 50% entre 2012 et 2050, la baisse de 30% de la consommation énergétique primaire fossile entre 2012 et 2030, la fourniture par des énergies renouvelables (ENR) de 32% de l’énergie primaire consommée. Sans oublier de porter à 50%, à l’horizon 2025, la part du nucléaire dans la production d’électricité. Du lourd, donc.
Vide nucléaire
C’est évidemment dans son application que la LTECV pèche. Publiée le 27 octobre 2016, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) est le document programmatique sur l’approvisionnement, la production, le stockage des énergies. Or le texte est totalement muet sur la partie nucléaire. Comment la France va-t-elle réduire d’un tiers en 10 ans sa production d’électrons atomiques ? On ne le sait pas.
Un homme de transition ? A peine nommé Premier ministre, Edouard Philippe va mettre les mains dans la transition énergétique. Le sujet ne lui est pas inconnu. Entre 2007 et 2010, l’énarque a émargé chez Areva, comme directeur des affaires publiques. Devenu député-maire du Havre, il a beaucoup œuvré pour accueillir sur les quais du port normand les usines d’éoliennes de son ancien employeur. Lequel avait promis 1.000 emplois à la clé. Siemens pourrait reprendre le projet. Malgré son tropisme pour les éoliennes marines, le juppéiste avait voté contre la loi sur la transition énergétique, texte qui doit booster le développement des énergies renouvelables, éoliennes et marines en particulier. Last but not least, le nouveau locataire de l’Hôtel de Matignon devra achever la restructuration d’Areva, tenter de mettre un terme au contentieux opposant son ancien employeur à TVO (malheureux acheteur de l’EPR finlandais), soigner la santé financière d’EDF. L’agenda s’annonce chargé.
Il est vrai que la filière-reine de l’électricité tricolore est au plus mal. Plombée par des erreurs stratégiques, son incapacité à construire dans des délais raisonnables son réacteur de nouvelle génération (l’EPR) et par un scandale des malfaçons de pièces forgées, Areva devra être démantelée. A EDF, la partie réacteurs ; Areva conservant les activités liées au cycle du combustible. Un grand bond en arrière.
Pouvoir d’achat
La situation d’EDF n’est guère plus enviable. Comme tous ses grands concurrents européens, le groupe présidé par Jean-Bernard Lévy doit s’adapter à un nouveau contexte énergétique. La baisse de la demande, couplée à l’arrivée massive des ENR (notamment en Allemagne), a fait chuter d’un tiers les prix de l’électron sur les marchés. Industriels et gros consommateurs ont désormais plus intérêt à acheter leur courant en bourse qu’auprès d’EDF. Le chiffre d’affaires s’en ressent. Et ça ne date pas d’hier. A de nombreuses reprises, Ségolène Royal s’est opposée aux demandes de hausse de tarifs régulés formulées par l’entreprise. Certains y vont vu une entreprise sacrifiée sur l’autel du maintien du pouvoir d’achat.
Trop d’investissements ?
Un malheur n’arrivant jamais seul, l’électricien doit faire face à de gigantesques investissements : rachat des réacteurs d’Areva, construction de trois EPR, modernisation de son parc nucléaire, financement du centre de stockage des déchets radioactifs (Cigéo), développement des renouvelables. Au total, le montant de la facture pourrait s’élever à 160 milliards d’euros entre 2016 et 2025. Pas simple à financer pour un groupe dont l’endettement brut s’élève déjà à 107 milliards.
La discrète
Sur le dossier nucléaire, fondamental pour la bonne application de sa loi, Ségolène Royal a été relativement discrète. La ministre chargée de l’énergie n’a pas réussi à imposer à EDF la fermeture de sa centrale nucléaire de Fessenheim. S’affranchissant des règles légales, l’énergéticien n’a toujours pas publié sa stratégie nucléaire. Le dossier Cigéo est durablement embourbé. On est proche du fiasco.
Insuffisances renouvelables
Bien sûr, l’énergie ne se limite pas à 58 réacteurs produisant 75% de notre électricité, et environ 40% de l’énergie que nous consommons. Ségolène Royal a beaucoup œuvré au développement des énergies renouvelables… électriques. On n’a jamais vu autant d’appels d’offres sur l’éolien, le photovoltaïque, l’hydrolien et, plus récemment, le petit hydraulique. La production s’en ressent. En 2015, les renouvelables ont fourni environ 23,4 millions de tonnes équivalent pétrole par an (Mtep/an), contre 17 Mtep/an en 2011. Bien, mais insuffisant.
Le paquet Energie Climat 2020 impose à la France que 23% de l’énergie consommée en 2020 soit verte. En 2015, cette part devait atteindre, précise la feuille de route, 17% de l’énergie consommée. Or, cette année-là, les Français n’ont englouti que 14,9% d’énergie propre. Et ils auront bien du mal à rattraper leur retard.
C’est aussi vrai du côté industriel. Pas plus que ses prédécesseurs et ses collègues de Bercy, Ségolène Royal n’a vraiment participé à l’édification de filières tricolores des renouvelables. Jadis porté par Areva et Alstom, l’étendard éolien bleu, blanc, rouge est désormais entre des mains américaines (Alstom) et allemandes (Areva). Ce dernier avait déjà cédé ses activités solaires, dès 2014. Sous l’eau, ce n’est guère mieux. Au grand dam d’Engie, General Electric a cessé de produire les prototypes d’hydroliennes : la ferme de La Hague ne verra pas le jour. Pas plus celle d’EDF qui doit faire face à la corrosion accélérée de ses machines, distribuées par DCNS.
[1] Riche de 215 articles, la LTECV comporte près de 500.000 caractères.
Alain KALT (retranscription)
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