Environnement Lançonnais

Energie, notre pays peut-il se passer du nucléaire ?

jeudi 24 mars 2011 par Alain KALT (retranscription)

Article publié le 20/03/2011 à 21:55 par René Tregouët sur "enerzine.com".

Depuis le terrible tremblement de terre qui a frappé le Japon le 11 mars et l’accident nucléaire d’une gravité sans précédent depuis Tchernobyl qui a eu lieu dans la centrale de Fukushima et n’est toujours pas cisconscrit au moment où j’écris ces lignes, la question de l’avenir de l’énergie nucléaire s’est brusquement imposée au niveau planétaire dans le débat politique et social. Au niveau européen, la Commission a réagi très rapidement et a décidé que les 153 réacteurs que compte l’Union européenne seront bientôt soumis à des tests de résistance. Sur la base d’une participation "volontaire, pas obligatoire", les risques "d’inondations, de tsunamis, d’attaques terroristes, de tremblements de terre, de coupures d’électricité" seront évalués sur la base de critères communs. Ces tests seront réalisés "par des experts indépendants dans le courant de l’année". Si les Etats l’acceptent, ces tests de résistance non contraignants pourraient être suivis de vérifications des "normes de sûreté en vigueur, afin de ’voir si nous avons tous les mêmes normes dans l’Union européenne’", a précisé la Commission qui souhaite clairement aller vers des normes européennes de sécurité beaucoup plus strictes dans le domaine du nucléaire.

En Allemagne, Angela Merkel, dans une ambiance préélectorale, il faut bien le reconnaitre, a annoncé le 15 mars que les sept centrales atomiques entrées en service en Allemagne avant 1980 seront fermées, peut-être définitivement. La chancelière a précisé que l’ensemble des réacteurs allemands subiraient des vérifications et que toutes les questions soulevées par la sécurité des centrales devraient avoir été examinées au plus tard le 15 juin. Berlin a également décidé un moratoire de trois mois qui suspend l’accord conclu l’an dernier prolongeant la durée de vie des centrales atomiques allemandes.

En Suisse, la situation japonaise a ravivé le vieux débat entre pro et anti-nucléaires et il n’est pas exclu que la Confédération renonce au nucléaire.

Nos voisins italiens, après avoir décidé en 1987 par referendum de renoncer à la construction de centrales nucléaires, vont être appelés le 12 juin 2011 à se prononcer, par référendum, sur un programme nucléaire visant à la construction de quatre réacteurs de type ERP et il est très probable qu’en dépit de sa forte dépendance énergétique, l’Italie confirme son rejet du nucléaire.

En France, le gouvernement a déclaré que notre pays ne renoncera pas à l’énergie nucléaire mais le Premier Ministre a accepté la demande d’audit du parc nucléaire français et a annoncé un contrôle des mesures de sécurité de toutes ses centrales.

Il ne fait nul doute que l’extrême gravité de cette catastrophe nucléaire qui survient dans un des pays, le Japon, les plus technologiquement avancés, a profondément et durablement fait basculer les opinions publiques contre l’utilisation de l’énergie nucléaire.

Même l’argument, pourtant puissant, mettant en avant le très faible bilan carbone du nucléaire et la nécessité de recourir au nucléaire pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre tout en répondant à la soif énergétique mondiale grandissante ne suffit plus à justifier l’utilisation de cette énergie dont les risques intrinsèques d’utilisation (stockage des déchets radioactifs à très longue vie, possibilité de détournement à des fins militaires et pertes de contrôle liées à des catastrophes naturelles ou des erreurs humaines) sont à présent perçues comme inacceptables.

Au niveau mondial, il est toujours bon de le rappeler, l’énergie nucléaire (457 réacteurs représentant 370 000 MW de puissance installée) en 2011 ne représente que 7% de l’énergie primaire et 17 % de l’électricité produite. En proportion, cette production d’électricité nucléaire mondiale est d’ailleurs en légère baisse depuis 4 ans. (Voir De moins en moins d’électricité nucleaire dans le monde). Ce n’est pas négligeable mais le gel du nucléaire mondial puis son démantèlement progressif ne représente pas un défi insurmontable pour la planète.

En France, la situation est toute différente. Avec 62 600 MW de puissance nucléaire installée, la France représente à elle seule 17 % de la puissance nucléaire mondiale. Le parc nucléaire français, le deuxième au monde, compte 58 réacteurs répartis sur 19 sites. Avec 408 TWh, la production d’électricité nucléaire représente 74% de la production totale d’électricité française et 80 % de notre consommation brute d’électricité.

En 2010, la consommation totale s’est établie à 488,1 térawattheures (TWh) l’an dernier en données corrigées des aléas climatiques, contre 478,1 TWh publié en 2009 a indiqué RTE, la filiale d’EDF chargée du réseau de transport d’électricité à haute et très haute tension. En données corrigées, la consommation des ménages a augmenté d’environ 1,5% en 2010 contre 2% en 2009 et celle des grands industriels, directement raccordés au réseau, a augmenté de 3,7%. En valeur brute, la consommation totale d’électricité a totalisé 513,3 TWh en 2010, ce qui représente une hausse de 5,5% par rapport à 2009, a encore précisé RTE.

La production française d’électricité a de son côté augmenté de 6% en 2010 par rapport à l’année précédente à 550,3 TWh. Le parc de production électrique est en hausse de 3.100 MW, avec notamment le raccordement au réseau de centrales au gaz. La production nucléaire a augmenté de 4,6% en 2010 à 407,9 TWh. En 2009, la production nucléaire avait atteint son plus bas niveau depuis 1999, en raison de grèves et d’opérations de maintenance non planifiées.

La production des centrales hydroélectriques a pour sa part augmenté de 9,9% pour s’établir à 68 TWh, ce qui représente 12,4% de la production française. L’éolien voit sa production croître de 22,2% mais sa part dans le mix énergétique représente cependant moins de 2%. Les centrales thermiques, qui permettent d’assurer l’équilibre entre l’offre et la demande, ont augmenté leur production de 8,3% à 59,4 TWh.

En supposant, par souci de simplification des calculs, que notre consommation électrique reste identique et que la part de l’électricité thermique et hydraulique reste constante, pourrions-nous remplacer notre production électrique nucléaire actuelle par des sources d’énergies renouvelables ?

Imaginons que, d’ici 2030, on veuille remplacer notre électricité nucléaire pour moitié par de l’énergie solaire et pour moitié par de l’éolien (un quart avec de l’éolien terrestre et trois quart avec de l’éolien marin).

Un rapide calcul nous montre qu’il faudrait, en se basant sur les rendements moyens actuels de production de ces énergies, installer au moins 2000 km2 de panneaux solaires (100 km2 par an pendant 20 ans), plus de 3 400 éoliennes terrestres géantes (170 par an) et 8 400 éoliennes marines (420 par an).

En matière d’énergie solaire : pour produire 204 TWH il faudrait environ 2000 km2 de panneaux photovoltaïques (1 km2 de panneaux photovoltaïques pour produire en moyenne 1 TWh par an). Au coût actuel, pour les grandes installations, il faut compter environ 1,5 milliards d’euros pour 1 km2 de panneaux solaires photovoltaïques, une telle surface photovoltaïque représenterait à elle seule environ 3000 milliards d’euros d’investissement. Mais on peut imaginer le recours massif à des centrales solaires thermodynamiques moins coûteuses que les centrales photovoltaïques. Selon les technologies utilisées l’investissement irait, dans ce cas, de 33 à 66 milliards d’euros pour une production électrique comparable.

En matière d’éolien terrestre, pour produire 51 TWh et en tenant compte du parc installé qui produit déjà 10 TWh, il faudrait installer 3 417 éoliennes terrestres de 5 MW (12 millions de kWh par an et par machine) soit une puissance installée de 17 000 MW (investissement : 8,5 milliards d’euros), un objectif comparable à celui du Grenelle pour 2020 (19 000 MW).

Enfin, en matière d’éolien marin, pour produire 153 TWH, il faudrait 8 492 éoliennes marines de 5 MW (18 millions de kWh par an et par machine), soit une puissance installée de 42 500 MW (investissement 21,5 milliards d’euros), un objectif 7 fois supérieur à celui du Grenelle pour 2020 (6000 MW).

A ces sommes, il faudrait encore ajouter la construction probable d’une quinzaine de centrales thermiques supplémentaire de 400 MW (soit un investissement d’environ 3,8 milliards d’euros), pour pallier dans tous les cas de figure aux inévitables fluctuations de la production d’électricité solaire et éolienne (ces énergies étant par nature diffuses, intermittentes et irrégulières), l’adaptation complète de notre réseau ( environ 3 milliards d’euros) et sa transformation "en grille" avec des compteurs intelligents et des moyens massifs de stockage de l’électricité (air comprimé, hydrogène, gaz, sels fondus). Il faut enfin ajouter le coût, sans doute plus important que prévu, du démantèlement de nos centrales nucléaires, de l’ordre de 26 milliards d’euros (450 millions d’euros par réacteur selon les dernières estimations).

Même dans l’hypothèse où nous parviendrions à stabiliser notre consommation globale d’énergie au niveau actuel, ce qui serait déjà très difficile, une telle transition énergétique serait donc longue, très coûteuse et très complexe à mettre en œuvre : un ordre de grandeur d’au moins 100 milliards d’euros semble réaliste, ce qui représente plus de deux fois notre facture énergétique pour 2010 (46 milliards d’euros). Cet effort considérable, étalé dans le temps, n’est toutefois pas hors de portée d’un pays développé comme la France qui possède en outre une configuration géoclimatique favorable à la fois au développement massif de l’éolien marin et du solaire.

S’agissant du nombre de victimes imputables au nucléaire et sans entrer dans des calculs et polémiques macabres, il faut tout de même rappeler quelques ordres de grandeur dérangeants pour resituer le débat. Au niveau mondial, même si l’on retient les hypothèses "hautes" sur les décès liés à la catastrophe de Tchernobyl (60 000 morts), l’énergie nucléaire civile est responsable depuis 60 ans de moins de 100 000 morts.

A titre de comparaison, les accidents de la route tuent 1,2 million de personnes dans le monde chaque année ; le tabac est responsable de plus de cinq millions de morts par dans le monde selon l’OMS et la pollution de l’air très largement provoquée par l’utilisation des énergies fossiles dans l’industrie et les transports tue au moins treize millions de morts chaque année selon une étude de l’OMS rendue publique fin juin 2007.

Faut-il rappeler qu’en Chine, la pollution de l’air provoqué par l’utilisation massive du charbon tue au moins 750 000 personnes par an selon l’OMS (chiffres non démentis par le gouvernement chinois), soit plus de 10 fois chaque année que le nombre de décès à Tchernobyl !

L’arbre du nucléaire existe mais malheureusement, il cache l’immense forêt de la catastrophe sanitaire et environnementale permanente liée à l’utilisation massive des énergies fossiles dans le monde.

Il faut donc bien comprendre que faire le choix de société de renoncer au nucléaire, même sur 20 ou 30 ans, aura des conséquences majeures sur le plan économique et social et suppose dans notre pays une mutation complète de nos modes de production et de consommation et plus largement de nos modes de vie. Notre pays est-il prêt, pour se passer du nucléaire, à un tel choix de société et à un tel effort dans la durée ? C’est là, toute la question.

C’est pourquoi, sur une question aussi essentielle mais aussi complexe, il me semble nécessaire, avant toute décision politique définitive, de prendre le temps de la réflexion et d’engager un vrai et large débat démocratique afin que nos concitoyens prennent bien conscience de tous les enjeux et des conséquences de leur choix pour les générations futures, tant sur le plan individuel que collectif.


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